Le livre II de l'Imitation étant désormais achevé, je reprends maintenant mon blog des cantiques de Besnier que j'avais un peu délaissé. Dans un premier temps, j'y ferai remonter les chants de l'Avent et les 9 premiers de Noëls déjà faits avec une nouvelle version chantée, puis les 11 autres Noëls suivront avec le reste de l'année liturgique. Alors seulement pourrai-je éventuellement entamer le livre III de l'Imitation, qui est le plus gros.
Pour bien marquer ce nouvel arrêt, voici un grand diaporama du calvaire de Pontchâteau, pouvant servir de base à la méditation des souffrances du Sauveur (il s'agit en fait de la vidéo du chapitre 12 du livre II de l'Imitation, mais sans le chant):
Il est aussi possible de visionner directement à partir de l'une ou l'autre des stations; pour ce faire, utiliser l'une des vidéos ci-dessous.
Première station (comprend trois des scènes de la Scala Sancta, à savoir Jésus devant Pilate, la condamnation de Jésus et l'Ecce Homo) :
Deuxième station :
Troisième station :
Quatrième station (incluant le monument à la Vierge des douleurs et des zooms sur les statues de Marie des stations 12 à 14) :
1. Ces mots vous semblent durs : Renoncez à vous-même Et portez votre croix ;(1) combien cet anathème : Retirez-vous, maudits, dans les feux éternels,(2) Sera plus dur encor ! Dans l'âme des mortels Quand la croix du Sauveur a gravé son empreinte, Cette image, à la mort, apaise en eux la crainte De se voir condamnés à des tourments sans fin. Contemplez la splendeur de ce drapeau divin ; Voyez-le triomphant, quand le souverain Juge L'arbore au dernier Jour : n'est-il point le refuge De tous ceux qui sur terre ont aimé la douleur Et conformé leur vie à celle du Sauveur ? Ils abordent le Christ avec pleine assurance.
2. Pourquoi donc redouter l'opprobre et la souffrance, Qui mènent au royaume auquel Dieu vous élut ? La vie est dans la croix, dans la croix le salut ; La croix nous garantit de tout piège funeste ; La croix, versant au cœur un baume tout céleste, Rend la force et la joie à l'esprit abattu ; La croix produit les saints, couronne la vertu ; Nul salut, nul espoir, pour notre âme immortelle, Qu'en la croix qui nous guide à la gloire éternelle. Marchez avec la croix sur les pas du Sauveur, Bientôt vous parviendrez au séjour du bonheur. C'est en portant sa croix que Jésus vous précède ; Pour vous, en y mourant, ce bon Maître intercède, Afin que, vous aussi, vous portiez votre croix, Trop heureux d'y mourir avec le Roi des rois : Qui meurt avec Jésus a droit à sa victoire ; Qui partage sa croix, partagera sa gloire.
3. Donc pour le vrai chrétien tout consiste à souffrir ; Il faut que sur la croix il consente à mourir : Pour conduire à la vie, au comble de la joie, A la paix sans mélange, il n'est point d'autre voie Que le chemin frayé par le Dieu rédempteur, Que la mort à soi-même, au plaisir corrupteur. Qu'on monte jusqu'au ciel, qu'on descende aux abîmes, On ne trouvera point de sentiers plus sublimes, Ni de chemins plus sûrs que celui de la croix. Réglez, à votre guise et selon votre choix, Tous les événements : bon gré, mal gré, n'importe, Il vous faudra souffrir ; et toujours, de la sorte, Vous trouverez la croix. L'expérience apprend Qu'en son âme ou son corps l'homme est toujours souffrant.
4. En ce séjour d'exil, tantôt Dieu vous délaisse, Et tantôt le prochain vous éprouve et vous blesse. Pour comble de malheur, vous êtes fréquemment Un fardeau pour vous-même ; et nul soulagement, Nul baume ne saurait calmer votre souffrance, Si le Ciel ne travaille à votre délivrance. Dieu veut nous voir souffrir sans consolations. Quand il soumet un homme aux tribulations, De cet homme il réclame obéissance entière, Car il veut par la croix dompter son âme altière. Plus nous sommes en butte aux mépris, aux douleurs, Mieux la croix de Jésus s'imprime dans nos cœurs. Donc toujours et partout la croix est préparée, Et pour l'âme fidèle et pour l'âme égarée : N'eût-il d'autre fardeau, tout homme s'aperçoit Qu'il se porte lui-même, en quelque lieu qu'il soit. Montez ou descendez, vivez en solitaire, Vivez au sein du monde, à tout moment sur terre Votre croix vous attend. Si vous aimez la paix, Sachez donc en chrétien tout souffrir désormais : Pour vous du paradis la croix sera la porte.
5. Portez-la de bon cœur, elle-même vous porte. C'est la croix qui vous guide au terme bienheureux Où tariront vos pleurs : ce terme n'est qu'aux cieux. Portez-la sans amour, la croix devient pesante : Vous en faites vous-même une charge écrasante ; Et toujours néanmoins il vous faut la porter. D'ordinaire à la croix qu'on vient de rejeter Une autre croix succède encor plus importune.
6. Comptez-vous échapper à la règle commune ? D'épreuves ici-bas quel juste fut exempt ? Lui-même, le Seigneur, fut-il un seul instant Sans avoir à souffrir ? J'ai, disait-il, à boire Au torrent des douleurs ; pour entrer dans ma gloire, Un jour d'entre les morts je dois ressusciter.(3) Comment donc le chrétien pourrait-il hésiter Entre un sentier vulgaire et la céleste voie Qu'un Dieu même a tracée ?
7. Et vous cherchez la joie, Quand le Christ a souffert un martyre incessant ! Croyez-moi, vous errez dans un chemin glissant, Et votre âme poursuit des biens imaginaires ; Car ce monde mortel est rempli de misères Et regorge de croix. Par le divin flambeau Plus l'homme est éclairé, plus lourd est son fardeau ; Car l'amour rend l'exil encor moins supportable.
8. Le juste, cependant, que le Seigneur accable Sous le faix des chagrins, se console parfois En arrêtant les yeux sur le fruit de la croix : Sous la main du Très-Haut quand un homme s'incline, La tribulation, par la vertu divine, Se convertit bientôt en un joyeux espoir. Plus le corps est broyé par le divin pressoir, Plus l'âme s'affermit dans l'amour de l'épreuve : Et parfois nous voyons le calice où s'abreuve Un amant de la croix, l'enivrer à tel point Que, pourrait-il la fuir, il ne le voudrait point, Croyant être à son Dieu d'autant plus agréable Que le fardeau qu'il porte est plus intolérable. Ce n'est pas, à coup sûr, la vertu d'un mortel, Mais la grâce du Christ, qui de l'homme charnel Fait un héros chrétien, sachant braver l'injure, La peine et tous les maux qu'abhorre la nature.
9. Est-il donc attrayant de vivre dans les pleurs, De rechercher la croix et de fuir les honneurs ; De tenir nuit et jour la chair en esclavage, De supporter gaîment le sarcasme et l'outrage ; De se traiter soi-même avec profond dédain, D'appeler de ses vœux les mépris du prochain ; De garder, en souffrant, la paix la plus profonde, Et de fouler aux pieds tous les faux biens du monde ?... Pour s'élever si haut, l'homme seul ne peut rien. Mais dès qu'il prend Jésus pour unique soutien, Le plus faible mortel en reçoit la puissance De maîtriser le monde et sa concupiscence. Satan n'est plus pour vous un sujet de terreur, Quand vous êtes armé de la croix du Sauveur.
10. Ah ! disposez-vous donc, en serviteur fidèle, A suivre au Golgotha votre divin modèle, Qui mourut sur la croix pour vos iniquités. Préparez-vous sans cesse aux mille adversités Que vous ne sauriez fuir en cette vie amère, Où l'on ne peut goûter qu'un bonheur éphémère. Il doit en être ainsi. Mais contre la douleur Et tant de maux divers vous avez, par bonheur, Un remède puissant : le support de vous-même. Pour ceindre avec Jésus l'immortel diadème, Partagez de grand cœur ses tribulations. Laissez Dieu dispenser les consolations Suivant son bon plaisir. La douleur qui vous presse Doit remplir votre cœur d'une sainte allégresse ; Car tous les maux du temps, pût-on seul les porter, Que sont-ils près du ciel, pour nous le mériter ?(4)
11. Ah ! si dans votre croix vous saviez vous complaire Par amour pour Jésus, votre aimable exemplaire, Vous seriez trop heureux ! car vous auriez trouvé Le paradis sur terre. Au reste, il est prouvé Qu'en fuyant la souffrance, une âme en est réduite A la traîner toujours et partout à sa suite.
12. Aimez, puisqu'il le faut, la douleur et la mort : Vous trouverez la paix dans un joyeux support. Paul ravi jusqu'au ciel reçoit-il l'assurance D'être exempt désormais d'épreuve et de souffrance ? Je vais, dit le Seigneur, je vais lui découvrir Combien pour mon saint nom il lui faudra souffrir.(5) Si donc vous prétendez servir le divin Maître En ami généreux, ne faut-il point vous mettre A partager sa croix ?
13. Ah ! plût à Dieu qu'un jour On nous vît pour Jésus souffrir avec amour ! Pour nous-mêmes quel titre à la céleste gloire, Et pour tous les élus quelle insigne victoire ! Pour autrui quel sujet d'édification ! Nous prêchons volontiers la résignation, Mais quand on nous la prêche, hélas ! notre âme est sourde. Que de mondains pourtant dont la croix est plus lourde !
14. Un chrétien doit mourir, à toute heure, en tout lieu : Plus on meurt à soi-même et plus on vit pour Dieu. Aux célestes clartés quelle âme s'illumine, Si la croix ne lui semble une faveur divine ? Rien ne plaît au Seigneur, n'affermit les vertus, Comme un désir ardent de souffrir pour Jésus. Et si l'homme pouvait choisir sa propre voie, Il devrait préférer la douleur à la joie, Pour retracer du Christ les adorables traits, Pour ressembler aux saints ; car, pour nous, le progrès Consiste beaucoup moins à goûter l'allégresse Qu'à porter humblement la peine et la tristesse.
15. S'il était pour notre âme un bien d'un plus grand prix Que l'amour de la croix, Jésus nous l'eût appris. S'adressant à quiconque est jaloux de lui plaire, Sans détour il l'invite à le suivre au Calvaire : Si quelqu'un, nous dit-il, veut marcher sur mes pas, Qu'il renonce à lui-même et qu'il sache ici-bas Porter sa croix toujours,(6) sans plainte et sans murmure : Tout bien approfondi, ne faut-il pas conclure Que pour régner sans fin, au séjour du bonheur, Il faut avoir connu l'opprobre et la douleur ?(7)
Cette parole semble dure à plusieurs: Renoncez à vous-mêmes, prenez votre Croix, et suivez Jésus (1). Mais il sera bien plus dur, au dernier jour, d'entendre cette parole:
Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel (2)!
Ceux qui écoutent maintenant volontiers la parole qui commande de
porter la Croix, et qui y obéissent, ne craindront point alors
d'entendre l'arrêt d'une éternelle condamnation.
Ce signe de la Croix sera dans le Ciel lorsque le Seigneur viendra pour juger (3).
Alors tous les disciples de la Croix, qui auront imité pendant leur vie
Jésus crucifié, s'approcheront avec une grande confiance de
Jésus-Christ juge.
Pourquoi donc craignez-vous de porter la Croix, par laquelle on arrive au royaume du ciel ? Dans la Croix est le salut, dans la Croix la vie, dans la Croix la protection contre nos ennemis. C'est de la Croix que découlent les suavités célestes.
Dans la Croix est la force de l'âme; dans la Croix la joie de l'esprit,
la consommation de la vertu, la perfection de la sainteté. Il n'y a de salut pour l'âme et d'espérance de vie éternelle, que dans la Croix. Prenez donc votre Croix et suivez Jésus, et vous parviendrez à l'éternelle félicité.
Il vous a précédé portant sa Croix et il est mort pour vous sur la
Croix afin que vous aussi vous portiez votre Croix, et que vous aspiriez
à mourir sur la Croix.
Car si vous mourez avec lui, vous vivrez aussi avec lui (4); et si vous partagez ses souffrances, vous partagerez sa gloire.
Ainsi tout est dans la Croix, et tout consiste à mourir. Il
n'est point d'autre voie qui conduise à la vie et à la véritable paix
du cœur que la voie de la Croix et d'une mortification continuelle.
Allez où vous voudrez, cherchez tout ce que vous voudrez, vous ne
trouverez pas au-dessus une voie plus élevée, au-dessous une voie plus
sûre que la voie de la sainte Croix. Disposez de tout selon vos
vues, réglez tout selon vos désirs, et toujours vous trouverez qu'il
vous faut souffrir quelque chose, que vous le vouliez ou non; et ainsi
vous trouverez toujours la Croix. Car, ou vous sentirez de la douleur dans le corps, ou vous éprouverez de l'amertume dans l'âme.
Tantôt vous serez délaissé de Dieu, tantôt exercé par le
prochain, et, ce qui est plus encore, vous serez souvent à charge à
vous-même. Vous ne trouverez à vos peines aucun remède, aucun
soulagement; mais il vous faudra souffrir aussi longtemps que Dieu le
voudra. Car Dieu veut que vous appreniez à souffrir sans
consolations, que vous vous soumettiez à lui sans réserve, et que vous
deveniez plus humble par la tribulation. Nul n'a si avant dans son cœur la Passion de Jésus-Christ que celui qui a souffert quelque chose de semblable. La Croix est donc toujours préparée; elle vous attend partout.
Vous ne pouvez la fuir, quelque part que vous alliez; puisque partout
où vous irez, vous vous porterez et vous trouverez toujours vous-même.
Elevez-vous, abaissez-vous, sortez de vous-même, rentrez-y; toujours
vous trouverez la Croix; et il faut que partout vous preniez patience,
si vous voulez la paix intérieure et mériter la couronne immortelle.
Si vous portez de bon cœur la Croix, elle-même vous
portera et vous conduira au terme désiré, où vous cesserez de souffrir;
mais ce ne sera pas en ce monde. Si vous la portez à regret, vous en
augmentez le poids, vous rendez votre fardeau plus dur, et cependant il
vous faut la porter. Si vous rejetez une Croix, vous en trouverez certainement une autre, et peut-être plus pesante.
Croyez-vous échapper à ce que nul homme n'a pu éviter ? Quel saint a été dans ce monde sans croix et sans tribulation ? Jésus-Christ lui-même, Notre-Seigneur, n'a pas été une seule heure dans toute sa vie sans éprouver quelque souffrance:
Il fallait, dit-il, que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât d'entre les morts, et qu'il entrât ainsi dans sa gloire (5). Comment donc cherchez-vous une autre voie que la voie royale de la sainte Croix ?
Toute la vie de Jésus-Christ n'a été qu'une croix et un long martyre, et vous cherchez le repos et la joie !
Vous vous trompez, n'en doutez pas; vous vous trompez lamentablement si
vous cherchez autre chose que les afflictions à souffrir; car toute
cette vie mortelle est pleine de misères et environnée de croix. Et
plus un homme aura fait de progrès dans les voies spirituelles, plus ses
croix souvent seront pesantes, parce que l'amour lui rend son exil plus
douloureux.
Cependant celui que Dieu éprouve par tant de peines n'est
pas sans consolations qui les adoucissent, parce qu'il sent s'accroître
les fruits de sa patience à porter sa Croix. Car, lorsqu'il
s'incline volontairement sous elle, l'affliction qui l'accablait se
change toute entière en une douce confiance qui le console. Et plus la chair est affligée, brisée, plus l'esprit est fortifié intérieurement par la grâce.
Quelquefois même le désir de souffrir pour être conforme à Jésus
crucifié lui inspire tant de force, qu'il ne voudrait pas être exempt de
tribulations et de douleur, parce qu'il se croit d'autant plus agréable
à Dieu, qu'il souffre pour lui davantage. Ce n'est point là la
vertu de l'homme, mais la grâce de Jésus-Christ, qui opère puissamment
dans une chair infirme, que tout ce qu'elle abhorre et fuit
naturellement, elle l'embrasse et l'aime par la ferveur de l'esprit.
Il n'est pas selon l'homme de porter la Croix, d'aimer la
Croix, de châtier le corps, de le réduire en servitude, de fuir les
honneurs, de souffrir volontiers les outrages, de se mépriser soi-même
et de souhaiter d'être méprisé, de supporter les afflictions et les
pertes, et de ne désirer aucune prospérité dans ce monde. Si vous ne regardez que vous, vous ne pouvez rien de tout cela. Mais si vous vous confiez dans le Seigneur, la force vous sera donnée d'en haut et vous aurez pouvoir sur la chair et le monde. Vous ne craindrez pas même le démon, votre ennemi, si vous êtes armé de la foi et marqué de la Croix de Jésus-Christ.
Disposez-vous donc, comme un bon et fidèle serviteur de
Jésus-Christ, à porter courageusement la Croix de votre Maître, crucifié
par amour pour vous. Préparez-vous à souffrir mille adversités,
mille traverses dans cette misérable vie; car voilà partout ce qui vous
attend, ce que vous trouverez partout, en quelque lieu que vous vous
cachiez. Il faut qu'il en soit ainsi, et à cette foule de maux et de douleurs il n'y a d'autre remède que de vous supporter vous-même. Buvez avec joie le calice du Sauveur, si son amour vous est cher et si vous désirez avoir part à sa gloire. Laissez Dieu disposer de ses consolations; qu'il les répande comme il lui plaira. Pour vous, choisissez les souffrances et regardez-les comme des consolations d'un grand prix, car
toutes les souffrances du temps n'ont aucune proportion avec la gloire future, et ne sauraient vous la mériter (6), quand seul vous les supporteriez toutes.
Lorsque vous en serez venu à trouver la souffrance douce et
à l'aimer pour Jésus-Christ, alors estimez-vous heureux, parce que vous
avez trouvé le paradis sur la terre. Mais, tandis que la souffrance
vous sera amère et que vous la fuirez, vous vivrez dans le trouble, et
la tribulation que vous fuirez vous suivra partout.
Si vous vous appliquez à être ce que vous devez être, à
souffrir et à mourir, bientôt vos peines s'évanouiront et vous aurez la
paix. Quand vous auriez été ravi, avec Paul, jusqu'au troisième ciel, vous ne seriez pas pour cela assuré de ne rien souffrir.
Je lui montrerai, dit Jésus, combien il faut qu'il souffre pour mon nom (7). Il ne vous reste donc qu'à souffrir, si vous voulez aimer Jésus et le servir constamment.
Plût à Dieu que vous fussiez digne de souffrir quelque
chose pour le nom de Jésus ! Quelle gloire vous serait réservée ! Quelle
joie parmi tous les saints ! Quelle édification pour le prochain ! Car tous recommandent la patience, quoique peu cependant veuillent souffrir. Avec quelle joie vous devriez souffrir quelque chose pour Jésus, lorsque tant d'autres souffrent beaucoup plus pour le monde !
Sachez et croyez fermement que votre vie doit être une mort
continuelle, et que plus on meurt à soi-même, plus on commence à vivre
pour Dieu. Nul n'est propre à comprendre les choses du ciel, s'il ne se soumet à supporter les adversités pour Jésus-Christ.
Rien n'est plus agréable à Dieu, rien ne vous est plus salutaire en ce
monde, que de souffrir avec joie pour Jésus-Christ; et si vous aviez à
choisir, vous devriez plutôt souhaiter d'être affligé pour lui que
d'être comblé de consolations, parce que vous seriez alors plus
semblable à Jésus-Christ et plus conforme à tous les saints. Car
notre mérite et notre progrès dans la perfection ne consistent point
dans la douceur et l'abondance des consolations, mais plutôt dans la
force de supporter de grandes tribulations et de pesantes épreuves.
S'il y avait eu pour l'homme quelque chose de meilleur et
de plus utile que de souffrir, Jésus-Christ nous l'aurait appris par ses
paroles et par son exemple. Or, manifestement, il exhorte à porter
sa Croix, et les disciples qui le suivaient, et tous ceux qui voudraient
le suivre, disant:
Si quelqu'un veut marcher sur mes pas, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa Croix, et qu'il me suive (8). Après donc avoir tout lu, tout examiné, concluons enfin
qu'il nous faut passer par beaucoup de tribulations pour entrer dans le royaume de Dieu (9).
La doctrine de la Croix, scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils(1), est ce que les hommes comprennent le moins.
Qu'un Dieu soit mort pour les sauver, leur raison s'abaissera
devant ce mystère: mais qu'ils doivent s'associer à cet étonnant
sacrifice, en mourant à eux-mêmes, à leurs passions, à leurs volontés, à
leurs désirs, voilà ce qui les révolte et leur fait dire comme les
Capharnaïtes:
Cette parole est dure; et qui peut l'entendre (2)?
Il faut bien pourtant que nous l'entendions; car notre salut
dépend de là. Le Ciel était séparé de la terre. La Croix les a réunis.
Et c'est du pied de la Croix que part tout ce qui va jusqu'au Ciel.
Pressons-nous donc contre la Croix; qu'elle soit ici-bas notre
consolation, comme elle est notre force. Lorsque, dans sa bonté, Dieu
nous envoie quelque épreuve, disons avec saint André:
O douce Croix ! Si longtemps désirée et préparée maintenant pour cette âme qui la souhaitait ardemment !
Tous les saints ont senti ce désir, tous ont tenu ce langage.
Souffrir ou mourir, répétait souvent sainte Thérèse, et dans
la souffrance, elle trouvait plus de paix et de bonheur que n'en
goûteront jamais ceux que le monde appelle heureux. Une seule larme
versée aux pieds de Jésus, est plus délicieuse mille fois que tous les
plaisirs du siècle.
(1): Cor. I, ch. I, ver. 23. (2): Jean, ch. VI, ver. 60.
1. Beaucoup voudraient régner avec le Roi des rois, Mais qu'ils sont peu nombreux les amants de sa croix ! Beaucoup voudraient jouir de sa douce allégresse, Mais bien peu, pour lui plaire, acceptent la tristesse. Beaucoup voudraient s'asseoir au banquet du Sauveur, Mais sa rude abstinence excite leur frayeur. Notre cœur est ravi de partager sa joie, Mais sommes-nous heureux des maux qu'il nous envoie ? Beaucoup suivent Jésus jusqu'à la fraction D'un pain venu des cieux ; mais dans l'affliction Se montrent-ils jaloux de boire à son calice ? Des miracles divins plusieurs font leur délice ; L'opprobre de la croix, combien peu l'ont goûté ! Ils aiment le Seigneur dans la prospérité ; Ils chantent son amour et sa miséricorde, Et savent le bénir des biens qu'il leur accorde : Mais que Dieu les délaisse et se cache un moment, Soudain c'est le murmure ou bien l'accablement.
2. O mon très doux Jésus, le chrétien qui vous aime Uniquement pour vous, et non point pour lui-même, Ne vous chérit pas moins au sein de la douleur Que lorsque vos bienfaits l'enivrent de bonheur. Fût-il sans cesse en proie aux maux les plus étranges, Il vous paîrait encore son tribut de louanges Et saurait vous bénir d'un cœur reconnaissant.
3. Oh ! que l'amour divin est donc fort et puissant, Quand l'amour de moi-même ou mon propre avantage Ne vient pas y mêler son impur alliage ! N'est-on pas mercenaire et sans affection Quand on cherche toujours sa consolation ? Une âme intéressée, esclave du bien-être, Se préfère elle-même à l'adorable Maître. Où trouver un mortel qui serve Dieu pour rien ?
4. Le juste détaché de tout terrestre bien, Qu'il est rare ici-bas ! Cherchez cette âme pure, Ce vrai pauvre d'esprit, que nulle créature N'enchaîne à son amour, ..... Cherchez, cherchez encor, Parcourez l'univers pour trouver ce trésor. Se fût-on dépouillé de sa fortune entière, On n'aurait fait qu'un pas dans la sainte carrière ; D'âpres austérités ont encor peu de prix ; Tout ce qu'on peut savoir, l'homme l'eût-il appris, Sa science n'est rien ; encor que très ardentes, Sa ferveur et sa foi ne sont pas suffisantes. Reste un point capital : c'est qu'ayant tout quitté, Il se quitte lui-même et n'ait de volonté Que l'aimable vouloir de son céleste Père ; C'est qu'après avoir fait tout ce qu'il devait faire, Il confesse humblement n'avoir rien fait pour Dieu.
5. Ce qu'on admire en nous, estimons-le fort peu : A nos moindres devoirs quand nous serions dociles, Sachons nous proclamer serviteurs inutiles,(1) Selon qu'à tout chrétien le Seigneur l'a prescrit. Oui, nous serons alors vraiment pauvres d'esprit, Et nous pourrons chanter avec le Roi-Prophète : Je suis seul et n'ai point où reposer ma tête.(2) Qu'on est libre, en retour, et qu'on est riche et grand, Quand on a tout quitté pour vivre au dernier rang !
Il y en a beaucoup qui désirent le céleste royaume de Jésus, mais peu consentent à porter sa Croix. Beaucoup souhaitent ses consolations, mais peu aiment ses souffrances. Il trouve beaucoup de compagnons de sa table, mais peu de son abstinence. Tous veulent partager sa joie; mais peu veulent souffrir quelque chose pour lui. Plusieurs suivent Jésus jusqu'à la fraction du pain, mais peu jusqu'à boire le calice de sa passion. Plusieurs admirent ses miracles; mais peu goûtent l'ignominie de sa Croix. Plusieurs aiment Jésus pendant qu'il ne leur arrive aucune adversité. Plusieurs le louent et le bénissent, tandis qu'ils reçoivent ses consolations. Mais si Jésus se cache et les délaisse un moment, ils tombent dans le murmure ou dans un excessif abattement.
Mais ceux qui aiment Jésus pour Jésus et non pour
eux-mêmes, le bénissent dans toutes les tribulations et dans l'angoisse
du cœur comme dans les consolations les plus douces. Et quand il ne voudrait jamais les consoler, toujours cependant ils le loueraient, toujours ils lui rendraient grâces.
Oh ! que ne peut l'amour de Jésus, quand il est pur et sans mélange d'amour ni d'intérêt propre ! Ne sont-ce pas des mercenaires ceux qui cherchent toujours des consolations ?
Ne prouvent-ils pas qu'ils s'aiment eux-mêmes plus que Jésus-Christ,
ceux qui pensent toujours à leurs gains et à leurs avantages ? Où trouvera-t-on quelqu'un qui veuille servir Dieu pour Dieu seul ?
Rarement on rencontre un homme assez avancé dans les voies spirituelles pour être dépouillé de tout. Car le véritable pauvre d'esprit, détaché de toute créature, qui le trouvera ? Il faut le chercher bien loin, et jusqu'aux extrémités de la terre.
Si l'homme donne tout ce qu'il possède, ce n'est encore rien (1). S'il fait une grande pénitence, c'est peu encore. Et s'il embrasse toutes les sciences, il est encore loin.
Et s'il a une grande vertu et une piété fervente, il lui manque encore
beaucoup, il lui manque une chose souverainement nécessaire. Qu'est-ce encore ? C'est qu'après avoir tout quitté, il se quitte aussi lui-même et se dépouille entièrement de l'amour de soi. C'est enfin qu'après avoir fait tout ce qu'il sait devoir faire, il pense encore n'avoir rien fait.
Qu'il estime peu ce qu'on pourrait regarder comme quelque
chose de grand, et qu'en toute sincérité il confesse qu'il est un
serviteur inutile, selon la parole de la Vérité:
Quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles (2). Alors il sera vraiment pauvre et séparé de tout en esprit, et il pourra dire avec le prophète:
Oui, je suis pauvre et seul dans le monde (3). Nul
cependant n'est plus riche, plus puissant, plus libre, que celui qui
sait quitter tout et soi-même, et se mettre au dernier rang.
Il faut aimer Dieu pour Dieu même, et non pas à cause de la joie que
l'on goûte à le servir. Car s'il nous retirait ses consolations, que
deviendrait cet amour mercenaire ?
Celui qui se cherche encore en quelque chose ne sait point aimer.
Regardez votre modèle, contemplez Jésus, il ne s'est recherché en rien:
Christus non sibi placuit(1). Il a tout sacrifié pour vous, son repos, sa vie, sa volonté même:
Non pas ce que je veux, disait-il, mais ce que vous voulez(2). Il a tout souffert, jusqu'à la croix, jusqu'au délaissement de son Père:
Mon Père! Pourquoi m'avez-vous abandonné (3)?
Entrons, à son exemple, dans cet esprit de sacrifice, et,
détachés désormais de tout intérêt propre, acceptons avec une égale
sérénité les biens et les maux, les peines et les joies, en sorte que,
n'ayant de pensées, de désirs que ceux de Jésus, nous soyons
consommés avec lui dans cette unité parfaite(4)que, près de quitter ce monde, il demandait pour nous à son Père, comme le dernier et le plus grand de ses dons.
1. Quel repos cherchez-vous au séjour des labeurs ? Préférez la souffrance aux terrestres douceurs, Et rendez gloire à Dieu des maux qu'ils vous envoie. Quel mondain n'aimerait à savourer la joie, Les consolations du pur et saint amour, S'il pouvait en jouir sans peine et sans retour ? Auprès de ce bonheur, de ces chastes délices, Les plaisirs de la chair sont plutôt des supplices : Car tout plaisir des sens est frivole ou honteux. Le bonheur de l'esprit est seul pur et joyeux : Ce n'est que dans une âme où règne l'innocence Que Dieu répand ses dons avec munificence. Mais nul mortel ne peut les savourer longtemps ; Car l'épreuve, en ce monde, est de tous les instants.
2. L'excès de confiance en nos propres mérites, La fausse liberté, s'opposent aux visites D'un Dieu bon, mais jaloux. Ses faveurs, ses pardons, Sont pour l'homme un grand bien : mais lorsque tous ses dons Ne sont payés, hélas ! que par l'ingratitude, Il paraît éprouver comme une lassitude ; Car, s'il est obligé de raccourcir son bras, C'est qu'il a trop souvent affaire à des ingrats, Qui ne remontent point à la source première D'où jaillit tout bienfait. Prodiguant sa lumière Au cœur reconnaissant, le Monarque des cieux Donne à l'humble les biens qu'il ôte à l'orgueilleux.
3. Loin de nous ces douceurs où nos larmes tarissent, Ces contemplations qui nous enorgueillissent ! De sublimes pensers ne sont pas toujours saints ; Tout désir n'est pas pur ; et les plus beaux desseins Peuvent déplaire à Dieu. Je souhaite une grâce Qui me rende plus humble et qui soit efficace A me faire avancer dans l'abnégation. L'homme instruit par la grâce et sa privation, Bien loin de se complaire en sa propre excellence, Confesse volontiers son extrême indigence. Sachant donner à Dieu ce qui revient à Dieu, De vos iniquités faites-lui l'humble aveu : A votre Créateur rendez grâce pour grâce, De peur que ce Dieu juste à la fin ne se lasse Et ne vous précipite en un feu dévorant.
4. Quand un homme toujours se met au dernier rang, Dieu l'élève au premier : à sublime édifice Une base profonde. Aussi tout l'artifice Employé par les saints pour conquérir les cieux, Est d'être constamment vils à leurs propres yeux, Leur cœur étant plus humble après chaque victoire. Le juste, n'aspirant qu'à la céleste gloire, Pour tout honneur frivole éprouve du mépris. D'amour pour le Seigneur uniquement épris, Il n'est tenté d'orgueil en aucune manière ; Car il rapporte à Dieu la gloire tout entière Des biens qu'il en reçoit. Les honneurs d'ici-bas, Ne venant pas du Ciel, sont pour lui sans appas ; Son vœu, son but constant, dans ses humbles louanges, Est d'exalter Dieu seul, en lui-même, en ses anges.
5. Pour tout bienfait divin soyez reconnaissant, Et les grâces pleuvront des mains du Tout-Puissant. Un présent du Seigneur fut toujours désirable ; Le moindre de ses dons n'est jamais méprisable. Qui pourrait d'un tel Roi connaître la grandeur Et n'être point jaloux de gagner sa faveur ! Qui pourrait dédaigner une grâce sortie De la main du Très-Haut ? Encor qu'il nous châtie, Nous devons le bénir ; car c'est notre salut Qu'en tout ce qu'il permet, ce bon Père a pour but. Conservons sa faveur par notre gratitude ; Soyons, quand il nous l'ôte, exempts d'inquiétude. Pour recouvrer sa grâce, il faut être fervent, Et, pour ne point la perdre, être humble et vigilant.
Pourquoi cherchez-vous le repos lorsque vous êtes né pour le travail ? Disposez-vous à la patience plutôt qu'aux consolations, et à porter la croix plutôt qu'à goûter la joie. Quel est l'homme du siècle qui ne reçut volontiers les joies et les consolations spirituelles, s'il pouvait en jouir toujours ? Car les consolations spirituelles surpassent toutes les délices du monde et toutes les voluptés de la chair.
Toutes les délices du monde sont ou honteuses ou vaines; les délices
spirituelles sont seules douces et chastes, nées des vertus et répandues
par Dieu dans les cœurs purs. Mais nul ne peut jouir toujours à son gré des consolations divines, parce que la tentation ne cesse jamais longtemps.
Une fausse liberté d'esprit et une grande confiance en soi-même forment un grand obstacle aux visites d'en-haut.
Dieu accorde à l'homme un grand bien en lui donnant la grâce de la
consolation; mais l'homme fait un grand mal quand il ne remercie pas
Dieu de ce don et ne le lui rapporte pas tout entier. Si la grâce ne
coule point abondamment sur nous, c'est que nous sommes ingrats envers
son auteur, et que nous ne remontons point à sa source première. Car
la grâce n'est jamais refusée à celui qui la reçoit avec gratitude, et
Dieu ordinairement donne à l'humble ce qu'il ôte au superbe.
Je ne veux point de la consolation qui m'ôte la componction; je n'aspire point à la contemplation qui conduit à l'orgueil.
Car tout ce qui est élevé n'est pas saint; tout ce qui est doux n'est
pas bon; tout désir n'est pas pur; tout ce qui est cher à l'homme n'est
pas agréable à Dieu. J'aime une grâce qui me rend plus humble, plus vigilant, plus prêt à me renoncer moi-même.
L'homme instruit par le don de la grâce et par sa privation n'osera
s'attribuer aucun bien, mais plutôt il confessera son indigence et sa
nudité. Donnez à Dieu ce qui est à Dieu; et ce qui est de vous, ne
l'imputez qu'à vous. Rendez gloire à Dieu de ses grâces; et reconnaissez
que n'ayant rien à vous que le péché, rien ne vous est dû que la peine
du péché.
Mettez-vous toujours à la dernière place (1)et la première vous sera donnée; car ce qui est le plus élevé s'appuie sur ce qui est le plus bas.
Les plus grands saints aux yeux de Dieu sont les plus petits à leurs
propres yeux; et plus leur vocation est sublime, plus ils sont humbles
dans leur cœur. Pleins de la vérité et de la gloire céleste, ils ne sont pas avides d'une gloire vaine. Fondés et affermis en Dieu, ils ne sauraient s'élever en eux-mêmes.
Rapportant à Dieu tout ce qu'ils ont reçu de bien, ils ne recherchent
point la gloire que donnent les hommes et ne veulent que celle qui vient
de Dieu seul; leur unique but, leur unique désir, est qu'il soit
glorifié en lui-même et dans tous les saints, par-dessus toutes choses.
Soyez donc reconnaissants des moindres grâces et vous mériterez d'en recevoir de plus grandes.
Que le plus léger don, la plus petite faveur aient pour vous autant de
prix que le don le plus excellent et la faveur la plus singulière.
Si vous considérez la grandeur de celui qui donne, rien de ce qu'il
donne ne vous paraîtra petit ni méprisable; car peut-il être quelque
chose de tel dans ce qui vient d'un Dieu infini ? Vous envoie-t-il
des peines et des châtiments, recevez-les encore avec joie, car c'est
toujours pour notre salut qu'il fait ou qu'il permet tout ce qui nous
arrive. Voulez-vous conserver la grâce de Dieu, soyez reconnaissant
lorsqu'il vous la donne, patient lorsqu'il vous l'ôte. Priez pour
qu'elle vous soit rendue, et soyez humble et vigilant pour ne pas la
perdre.
L'homme est si pauvre, qu'il n'a pas même une bonne pensée, un bon désir
qui ne lui vienne d'en haut. De lui-même il ne peut rien, pas même
souhaiter d'être affranchi de sa misère, qu'il ne connaît que par une
lumière surnaturelle.
Si la divine miséricorde ne le prévenait, il languirait dans une
éternelle impuissance de tout bien. Plus la grâce donc lui est donnée
avec abondance, plus il a raison de s'humilier, en voyant ce qu'il
serait sans elle, ce qu'il est par son propre fonds. Créature insensée
qui t'enorgueillis des dons de Dieu,
qu'as-tu que tu n'aies reçu, et si tu l'as reçu pourquoi te glorifier, comme si tu ne l'avais pas reçu (1)?
Il faut que l'orgueil plie sous cette parole, et que l'homme
tout entier s'anéantisse en présence de Celui qui seul le retire de
l'abîme où le péché l'avait précipité. Il ne se relève qu'en
s'abaissant: ce qui faisait dire à saint Paul:
Quand je me sens faible, c'est alors que je suis fort(2). Je vous comprends, ô grand Apôtre ! Ce sentiment qui vous humilie, appelle la grâce promise
aux humbles(3), et par elle, vous êtes revêtu de la force de Dieu même.
Que ne devons-nous point à ce Dieu de bonté, et que lui
rendrons-nous pour tant de bienfaits ? Hélas ! Dans notre indigence,
nous n'avons à lui offrir que notre cœur, et c'est aussi ce qu'il
demande de sa pauvre créature. Que ce cœur au moins lui appartienne
sans réserve, que rien ne le partage. Qu'il ne veuille, qu'il ne goûte
que Dieu, ne vive que de son amour, et qu'ainsi commence sur la terre
cette union ravissante qui sera plus tard notre éternelle félicité.