A propos de la traduction en vers





La traduction en vers français retranscrite et chantée sur ce blog est tirée de l'ouvrage suivant :

L'Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français par un religieux de l'Abbaye de Fontgombault.

Cet ouvrage reçu l'Imprimatur de l'archevêque de Cambrai, Henri Monnier, le 13 décembre 1884, et fut approuvé par le doyen de l'université catholique de Lille, Am. de Margerie.


En voici la préface intégrale :


« L'Imitation de Jésus-Christ est le plus beau livre qui soit sorti de la main des hommes, puisque l'Evangile n'en vient pas. » Cette parole de Fontenelle est tellement sur toutes les lèvres qu'il serait presque banal de s'arrêter à faire l'éloge d'un tel livre. Contentons-nous de rappeler ici l'appréciation de M. de Montalembert : « Parmi les merveilles du siècle d'Élisabeth, dit-il dans son introduction à la Vie de sainte Élisabeth de Hongrie, comment oublier ce livre que tous les siècles ont reconnu sans rival, l'Imitation de Jésus-Christ ? C'est la formule la plus complète et la plus sublime de l'ardente piété envers le Christ. »


**********

Comme tous ceux qui ont traduit l'Imitation en vers français, depuis Corneille jusqu'à M. Perrot de Chezelles, l'auteur de ce nouveau travail s'est proposé pour but de faciliter, au moyen de la mesure et de la rime, le souvenir et par suite la mise à exécution de tant de maximes à la fois si belles, si simples et si pratiques, renfermées dans ce livre incomparable.

Les vers, nul ne saurait le contester, ont le privilège de mieux graver les choses dans la mémoire et dans l'esprit. De là le besoin qu'on a éprouvé de faire entrer la rime, ou du moins la même consonance, dans la plupart de nos vieux proverbes français.

Si, dans les chants populaires surtout, les vers ne sont, hélas ! que trop puissants pour entraîner au vice et à l'erreur, pourquoi ne pas mettre cette arme au service de la vérité et de la vertu ?


**********

Souvent, pour faire un saint, ne suffit-il pas d'une pensée, d'un mot, imprimé comme en traits de flamme au fond du cœur, passant du cœur sur les lèvres et des lèvres dans tous les actes de la vie ?

« Deus meus et omnia : Mon Dieu et mon tout ! »
« Aut pati aut mori : Ou souffrir ou mourir ! »
« Pati et contemni pro te : Souffrir et être méprisé pour vous ! »


Ces cris d'amour d'un saint François d'Assise, d'une sainte Thérèse, d'un saint Jean de la Croix, répétés encore à chaque instant par bon nombre d'âmes généreuses, semblent peut-être bien sublimes à la plupart des chrétiens : mais dans l'Imitation de Jésus-Christ quelle variété de maximes, s'appropriant merveilleusement aux besoins de chacun !

Un seul exemple entre mille : une âme éprouvée (et qui donc n'a pas d'épreuves en ce monde ?) n'est-elle pas singulièrement consolée et fortifiée par ces quelques mots de l'Imitation (Liv. III, ch. XLVII, ver. 4) : Nonne pro vita æterna cuncta laboriosa sunt toleranda ? Non est parvum quid perdere aut lucrari regnum Dei :

Peut-on payer trop cher un bonheur éternel ?
Est-ce peu de gagner ou de perdre le ciel ?


Ces deux vers sont bien simples ; mais si néanmoins, ce qui n'est guère supposable, ils avaient de la peine à se fixer dans certaines mémoires, en est-il une seule assez ingrate pour ne pouvoir retenir le demi-vers suivant ?

« Sans la croix, point de ciel. (Liv. III, ch. LIX, ver. 2.)

L'Imitation de Jésus-Christ n'est-elle pas comme un arsenal, où l'on trouve toute espèce d'armes pour combattre les ennemis du salut ? A chacun de choisir celle qui lui est le plus utile.


**********

Avant d'avoir l'audace d'aborder un sujet déjà traité par Corneille (ses autres devanciers lui étaient alors inconnus), l'auteur de ce modeste ouvrage, malgré son vif attrait, a hésité longtemps. Enfin, considérant que l'œuvre du grand poète est moins une traduction proprement dite qu'une paraphrase, il s'est hasardé à faire un essai, sauf à ne recueillir de ses efforts d'autre fruit que sa propre édification. Il s'est appliqué surtout à conserver la physionomie, le caractère de pieuse simplicité du texte latin. De plus, sans négliger le côté littéraire, il a eu pour idéal de traduire aussi littéralement que le lui ont permis ses faibles forces et les nombreuses entraves de la versification française.


**********

Peut-être certains Catholiques mêmes ont-ils trop aisément accepté cette parole de Voltaire, du reste bien juge en littérature, quand la passion ne l'aveugle pas : « L'Imitation de Jésus, dit-il à propos de la traduction paraphrasé de Corneille (on comprend qu'un tel ouvrage nu fût pas de son goût), l'Imitation de Jésus n'est pas plus faite pour être mise en vers qu'une Épître de saint Paul. »

L'arrêt du coryphée de l'irréligion en France serait-il donc irréformable, surtout en matière de piété ? - Sans examiner si maints passages des Épîtres du grand Apôtre ne se prêteraient pas à plus d'un beau vers, est-il bien vrai que tant d'admirables préceptes ou conseils, fondés à la fois sur la droite raison et sur la morale évangélique, soient moins dignes et moins susceptibles d'être mis en vers que les règles, fort utiles d'ailleurs, contenues dans l'Art poétique d'Horace ou de Boileau ? Est-il bien vrai qu'il n'y ait aucune poésie dans ces colloques si pieux, si doux, si ravissants, qui s'engagent entre l'âme chrétienne et ce Dieu qui descendit du ciel sur terre pour elle, qui pour elle mourut sur un infâme gibet, qui, pour la nourrir de sa chair et de son sang, voile la splendeur de sa gloire sous les apparences d'un peu de pain ?

Prenons un ou deux exemples entre beaucoup d'autres. - Ne sent-on pas vibrer la corde poétique dans ces accents d'un cœur désolé, qui soupire après la visite du Consolateur divin ?

Veni, veni : quia sine te nulla erit læta dies aut hora, etc. (Liv. III, ch. XXI, ver. 4.)

L'auteur de l'Imitation, sans même y penser, n'est-il pas encore poète dans l'expression des vœux brûlants que l'âme exilée, qui aime son Dieu, fait monter nuit et jour vers la patrie céleste ?

O supernæ civitatis mansio beatissima ! etc. (Liv. III, ch. XLVIII.)

La poésie, la vraie poésie, n'est-elle pas ce qu'il y a de plus élevé, de plus beau, de plus pur, dans le sentiment et la pensée ?

Pourquoi donc ne pas espérer qu'un jour, après examen plus sérieux, au jugement de Voltaire on préférera celui qu'on a pu lire plus haut ? [voir annexe ci-dessous] « Il y a, dit M. Am. de Margerie, dans cet incomparable livre, si simple et si sobre, une poésie supérieure dont la beauté, bien que tout entière au dedans, rayonne cependant au dehors. »


**********

La richesse de la rime exerce, on ne peut en disconvenir, un vrai charme sur l'œil et sur l'oreille. L'auteur de ce travail n'est donc pas de ceux qui la dédaignent. Cependant, à son humble avis, jamais, et surtout dans une traduction, la rime ne doit primer la pensée, encore moins le bon sens : la forme sans doute, mais le fond avant la forme ; ce qui satisfait l'esprit et le cœur, préférablement à ce qui flatte les sens.

Aussi, chaque fois que la rime riche a paru rendre avec précision le texte original, elle a été accueillie avec faveur. Mais quand la rime suffisante, ou même parfois la rime faible, s'est offerte à exprimer plus fidèlement la pensée de l'auteur de l'Imitation, le traducteur a cru que tout sage lecteur lui saurait gré d'avoir donné à l'une ou l'autre de ces deux modestes auxiliaires la préférence sur leur sœur, souvent très peu riche en raison. Au reste, il n'a fait usage d'aucune rime dont il n'ait trouvé des exemples dans les meilleurs poètes classiques ; et même, dans tout le cours de ce long et difficile travail, il n'en a jamais employé qui reposassent sur une seule lettre, comme dans les vers suivants :

Mais cet enfant fatal, Abner, vous l'avez vu.
Quel est-il ? de quel sang ? et de quelle tribu ?
(Racine, ATHALIE).



**********

Cette œuvre, assurément bien hardie, touchait presque à sa fin, quand l'auteur, désireux de savoir si elle n'était pas trop indigne d'être offerte au public, s'est décidé à prendre l'avis d'un homme vraiment compétent en pareille matière.

Il s'est donc adressé à M. Amédée de Margerie, qu'il savait avoir, dans le monde des lettres chrétiennes, la réputation de critique judicieux, impartial, et peut-être même un peu sévère. Aussi, à la première réponse de l'éminent Doyen de la Faculté Catholique des Lettres de Lille, quelle n'a pas été l'agréable surprise du traducteur, en se voyant traité avec tant d'indulgence par un juge dont il redoutait un peu la censure, bien qu'il la réclamât pour amender ses méchants vers. De tels encouragements ne pouvaient manquer de lui inspirer un peu de patience et de ranimer son ardeur. Docile au conseil qui lui était donné de « rapprocher encore » sa version « de la précision, de la nuance et de la ravissante simplicité du texte », il a consacré deux ans et demi à cette tâche nouvelle, moins longue, mais plus laborieuse encore que la première.

Il s'est étudié à profiter de son mieux des sages observations que lui ont faites avec tant de dévouement M. de Margerie et deux ou trois amis, entre autres, M. l'abbé Penaud, Supérieur du Petit-Séminaire de Felletin.


**********

Daigne le très aimable Enfant de la crèche, pour sa gloire et le bien des âmes, bénir cet humble travail ! Que tous ceux qui pourraient en retirer quelque fruit, veuillent bien permettre au traducteur de leur adresser pour lui-même la prière qu'on retrouvera vers la fin de cet ouvrage :

Chaque fois qu'enivrés à la source de vie
Où la soif des cœurs purs fut toujours assouvie,
Vous quitterez joyeux le banquet du Seigneur,
Daignez vous souvenir d'un malheureux pécheur.
(Liv. IV, ch. XVII, ver. 5.)


Abbaye de Notre-Dame de Fontgombault, en la fête de Noël 1884.
Fr. ** prêtre, religieux profès, indigne fils de saint Benoît et de saint Bernard.


Annexe : Lettre de M. de Margerie, Doyen de l'Université Catholique de Lille, au traducteur.



Lille, 17 décembre 1881

Mon Révérend Père,

Sans flatterie aucune, votre traduction, et dans ce chapitre (le VIIème du IVème livre) (*) et dans tous ceux que j'ai lus, me paraît remarquable de précision, d'aisance, de bon et beau langage. En lisant votre français, le latin revient de lui-même au cœur et aux lèvres, et c'est vraiment un tour de force ; il eût été, je crois, impossible, s'il n'y avait dans cet incomparable livre, si simple et si sobre, cette poésie supérieure dont la beauté, bien que tout entière au dedans, rayonne cependant au dehors.

Mon admiration pour vos qualités poétiques de traducteur n'est pas sans envie, mon Révérend Père, car je fais, depuis plusieurs années, avec moins de bonheur que vous, une tentative du même genre sur la Divine Comédie. Je voudrais pouvoir vous voler votre secret. En tout cas, je ne pourrai que gagner à l'étude très attentive que je vais commencer de vos fragments. Vous voyez que je suis tout à fait votre obligé.

Recevez, etc.

Am. De Margerie

(*): Ce chapitre avait été signalé à M. de Margerie par le traducteur comme un des plus difficiles à rendre en vers français, à cause de la très fréquente répétition du mot si, après lequel, comme on sait, on ne peut mettre aucun mot commençant par une voyelle ou une h muette.



15 septembre 2018, en la fête de Notre-Dame des sept-douleurs