vendredi 21 août 2020

De la reconnaissance pour la grâce de Dieu

1. Quel repos cherchez-vous au séjour des labeurs ?
Préférez la souffrance aux terrestres douceurs,
Et rendez gloire à Dieu des maux qu'ils vous envoie.
Quel mondain n'aimerait à savourer la joie,
Les consolations du pur et saint amour,
S'il pouvait en jouir sans peine et sans retour ?
Auprès de ce bonheur, de ces chastes délices,
Les plaisirs de la chair sont plutôt des supplices :
Car tout plaisir des sens est frivole ou honteux.
Le bonheur de l'esprit est seul pur et joyeux :
Ce n'est que dans une âme où règne l'innocence
Que Dieu répand ses dons avec munificence.
Mais nul mortel ne peut les savourer longtemps ;
Car l'épreuve, en ce monde, est de tous les instants.

2. L'excès de confiance en nos propres mérites,
La fausse liberté, s'opposent aux visites
D'un Dieu bon, mais jaloux. Ses faveurs, ses pardons,
Sont pour l'homme un grand bien : mais lorsque tous ses dons
Ne sont payés, hélas ! que par l'ingratitude,
Il paraît éprouver comme une lassitude ;
Car, s'il est obligé de raccourcir son bras,
C'est qu'il a trop souvent affaire à des ingrats,
Qui ne remontent point à la source première
D'où jaillit tout bienfait. Prodiguant sa lumière
Au cœur reconnaissant, le Monarque des cieux
Donne à l'humble les biens qu'il ôte à l'orgueilleux.

3. Loin de nous ces douceurs où nos larmes tarissent,
Ces contemplations qui nous enorgueillissent !
De sublimes pensers ne sont pas toujours saints ;
Tout désir n'est pas pur ; et les plus beaux desseins
Peuvent déplaire à Dieu. Je souhaite une grâce
Qui me rende plus humble et qui soit efficace
A me faire avancer dans l'abnégation.
L'homme instruit par la grâce et sa privation,
Bien loin de se complaire en sa propre excellence,
Confesse volontiers son extrême indigence.
Sachant donner à Dieu ce qui revient à Dieu,
De vos iniquités faites-lui l'humble aveu :
A votre Créateur rendez grâce pour grâce,
De peur que ce Dieu juste à la fin ne se lasse
Et ne vous précipite en un feu dévorant.

4. Quand un homme toujours se met au dernier rang,
Dieu l'élève au premier : à sublime édifice
Une base profonde. Aussi tout l'artifice
Employé par les saints pour conquérir les cieux,
Est d'être constamment vils à leurs propres yeux,
Leur cœur étant plus humble après chaque victoire.
Le juste, n'aspirant qu'à la céleste gloire,
Pour tout honneur frivole éprouve du mépris.
D'amour pour le Seigneur uniquement épris,
Il n'est tenté d'orgueil en aucune manière ;
Car il rapporte à Dieu la gloire tout entière
Des biens qu'il en reçoit. Les honneurs d'ici-bas,
Ne venant pas du Ciel, sont pour lui sans appas ;
Son vœu, son but constant, dans ses humbles louanges,
Est d'exalter Dieu seul, en lui-même, en ses anges.

5. Pour tout bienfait divin soyez reconnaissant,
Et les grâces pleuvront des mains du Tout-Puissant.
Un présent du Seigneur fut toujours désirable ;
Le moindre de ses dons n'est jamais méprisable.
Qui pourrait d'un tel Roi connaître la grandeur
Et n'être point jaloux de gagner sa faveur !
Qui pourrait dédaigner une grâce sortie
De la main du Très-Haut ? Encor qu'il nous châtie,
Nous devons le bénir ; car c'est notre salut
Qu'en tout ce qu'il permet, ce bon Père a pour but.
Conservons sa faveur par notre gratitude ;
Soyons, quand il nous l'ôte, exempts d'inquiétude.
Pour recouvrer sa grâce, il faut être fervent,
Et, pour ne point la perdre, être humble et vigilant.


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Pourquoi cherchez-vous le repos lorsque vous êtes né pour le travail ?
    Disposez-vous à la patience plutôt qu'aux consolations, et à porter la croix plutôt qu'à goûter la joie.
    Quel est l'homme du siècle qui ne reçut volontiers les joies et les consolations spirituelles, s'il pouvait en jouir toujours ?
    Car les consolations spirituelles surpassent toutes les délices du monde et toutes les voluptés de la chair.
    Toutes les délices du monde sont ou honteuses ou vaines; les délices spirituelles sont seules douces et chastes, nées des vertus et répandues par Dieu dans les cœurs purs.
    Mais nul ne peut jouir toujours à son gré des consolations divines, parce que la tentation ne cesse jamais longtemps.
  2. Une fausse liberté d'esprit et une grande confiance en soi-même forment un grand obstacle aux visites d'en-haut.
    Dieu accorde à l'homme un grand bien en lui donnant la grâce de la consolation; mais l'homme fait un grand mal quand il ne remercie pas Dieu de ce don et ne le lui rapporte pas tout entier.
    Si la grâce ne coule point abondamment sur nous, c'est que nous sommes ingrats envers son auteur, et que nous ne remontons point à sa source première.
    Car la grâce n'est jamais refusée à celui qui la reçoit avec gratitude, et Dieu ordinairement donne à l'humble ce qu'il ôte au superbe.
  3. Je ne veux point de la consolation qui m'ôte la componction; je n'aspire point à la contemplation qui conduit à l'orgueil.
    Car tout ce qui est élevé n'est pas saint; tout ce qui est doux n'est pas bon; tout désir n'est pas pur; tout ce qui est cher à l'homme n'est pas agréable à Dieu.
    J'aime une grâce qui me rend plus humble, plus vigilant, plus prêt à me renoncer moi-même.
    L'homme instruit par le don de la grâce et par sa privation n'osera s'attribuer aucun bien, mais plutôt il confessera son indigence et sa nudité.
    Donnez à Dieu ce qui est à Dieu; et ce qui est de vous, ne l'imputez qu'à vous. Rendez gloire à Dieu de ses grâces; et reconnaissez que n'ayant rien à vous que le péché, rien ne vous est dû que la peine du péché.
  4. Mettez-vous toujours à la dernière place (1) et la première vous sera donnée; car ce qui est le plus élevé s'appuie sur ce qui est le plus bas.
    Les plus grands saints aux yeux de Dieu sont les plus petits à leurs propres yeux; et plus leur vocation est sublime, plus ils sont humbles dans leur cœur.
    Pleins de la vérité et de la gloire céleste, ils ne sont pas avides d'une gloire vaine.
    Fondés et affermis en Dieu, ils ne sauraient s'élever en eux-mêmes.
    Rapportant à Dieu tout ce qu'ils ont reçu de bien, ils ne recherchent point la gloire que donnent les hommes et ne veulent que celle qui vient de Dieu seul; leur unique but, leur unique désir, est qu'il soit glorifié en lui-même et dans tous les saints, par-dessus toutes choses.
  5. Soyez donc reconnaissants des moindres grâces et vous mériterez d'en recevoir de plus grandes.
    Que le plus léger don, la plus petite faveur aient pour vous autant de prix que le don le plus excellent et la faveur la plus singulière.
    Si vous considérez la grandeur de celui qui donne, rien de ce qu'il donne ne vous paraîtra petit ni méprisable; car peut-il être quelque chose de tel dans ce qui vient d'un Dieu infini ?
    Vous envoie-t-il des peines et des châtiments, recevez-les encore avec joie, car c'est toujours pour notre salut qu'il fait ou qu'il permet tout ce qui nous arrive.
    Voulez-vous conserver la grâce de Dieu, soyez reconnaissant lorsqu'il vous la donne, patient lorsqu'il vous l'ôte. Priez pour qu'elle vous soit rendue, et soyez humble et vigilant pour ne pas la perdre.

    (1): Luc, ch. XIV, ver. 10.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


L'homme est si pauvre, qu'il n'a pas même une bonne pensée, un bon désir qui ne lui vienne d'en haut. De lui-même il ne peut rien, pas même souhaiter d'être affranchi de sa misère, qu'il ne connaît que par une lumière surnaturelle.
Si la divine miséricorde ne le prévenait, il languirait dans une éternelle impuissance de tout bien. Plus la grâce donc lui est donnée avec abondance, plus il a raison de s'humilier, en voyant ce qu'il serait sans elle, ce qu'il est par son propre fonds. Créature insensée qui t'enorgueillis des dons de Dieu, qu'as-tu que tu n'aies reçu, et si tu l'as reçu pourquoi te glorifier, comme si tu ne l'avais pas reçu (1)? 
Il faut que l'orgueil plie sous cette parole, et que l'homme tout entier s'anéantisse en présence de Celui qui seul le retire de l'abîme où le péché l'avait précipité. Il ne se relève qu'en s'abaissant: ce qui faisait dire à saint Paul: Quand je me sens faible, c'est alors que je suis fort (2). Je vous comprends, ô grand Apôtre ! Ce sentiment qui vous humilie, appelle la grâce promise aux humbles (3), et par elle, vous êtes revêtu de la force de Dieu même.
Que ne devons-nous point à ce Dieu de bonté, et que lui rendrons-nous pour tant de bienfaits ? Hélas ! Dans notre indigence, nous n'avons à lui offrir que notre cœur, et c'est aussi ce qu'il demande de sa pauvre créature. Que ce cœur au moins lui appartienne sans réserve, que rien ne le partage. Qu'il ne veuille, qu'il ne goûte que Dieu, ne vive que de son amour, et qu'ainsi commence sur la terre cette union ravissante qui sera plus tard notre éternelle félicité.

(1): Cor. I, ch. IV, ver. 7. 
(2): Cor. II, ch. XII, ver. 10. 
(3): Jac., ch. IV, ver. 6.


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