vendredi 15 mai 2020

De la joie d'une bonne conscience

1.  La conscience pure et son bon témoignage,
C'est l'honneur souverain de l'homme vraiment sage.
L'innocence du cœur, ne la perdez jamais :
Vous sentirez toujours l'allégresse et la paix ;
Car le juste est joyeux jusqu'au sein des traverses,
Et les tourments sont faits pour les âmes perverses.
Quel repos ravissant goûte un parfait chrétien !
Ne vous réjouissez que d'avoir fait le bien.
Les méchants ont-ils donc jamais connu la joie ?
Du trouble et des remords ils sont la juste proie ;
Car la paix fuit toujours l'impie (1) et le pécheur.
Nous sommes, diront-ils, à l'abri du malheur ;
Nous vivons dans la paix ; qui donc pourrait nous nuire ?
Mais ne les croyez point : Soudain nous verrons luire
Le jour de la vengeance, où de ces insensés
Périront
à jamais les œuvres, les pensers. (2)

2. Si j'aime le Seigneur, m'est-il bien méritoire
De me plaire à souffrir et d'y mettre ma gloire ?
C'est me glorifier dans l'amour de la croix. (3)
Qu'ils sont cours les honneurs dont s'enivrent les rois !
Toute gloire éphémère engendre la tristesse.
La gloire, aux yeux du juste, est dans l'humble sagesse.
Qu'importe au vrai chrétien qu'on l'acclame en tout lieu ?
Son bonheur vient d'en haut, son bonheur est en Dieu.
La Vérité suprême en fut toujours la source.
Quand l'homme prend les cieux pour terme de sa course,
Il sait fouler aux pieds les honneurs d'ici-bas ;
Mais, si la gloire humaine a pour lui des appas,
Sera-t-il digne un jour d'aller s'unir aux anges ?
Quand on ne s'émeut point du blâme ou des louanges,
Quel ineffable calme on sent au fond du cœur !

3. Aisément il parvient à la paix, au bonheur,
Le chrétien généreux dont l'âme est sans souillure.
On prône notre vie !... en est-elle plus pure ?
Et lorsqu'on nous outrage, en sommes-nous plus vils ?
On est ce que l'on est. Les mortels pourraient-ils
Nous faire aux yeux de Dieu plus grands que nous ne sommes ?
Je compte pour néant les vains discours des hommes,
Quand j'arrête les yeux sur mon intérieur.
L'homme voit mon visage, et Dieu lit dans mon cœur :
Ce sont les actes seuls que l'homme considère ;
Dieu pèse les motifs. S'appliquer à bien faire,
Et n'avoir sous les yeux que sa fragilité,
Est un signe certain de grande humilité.
Quel indice d'une âme et confiante et pure
De ne mettre sa joie en nulle créature !

4. Qui jamais des humains ne cherche la faveur,
Montre qu'il s'est donné pleinement au Seigneur ;
Car il ne suffit pas de s'approuver soi-même,
Mais il faut que Jésus nous approuve
(4) et nous aime.
Un homme intérieur ne forme d'autre vœu
Que de rompre ses fers, pour marcher avec Dieu.


(1): Is., ch. XLVIII, ver. 22 & ch. LVII, ver. 21.
(2): Ps. 145, ver. 4.
(3): Gal., ch. VI, ver. 14.
(4): Cor. II, ch. X, ver. 18.



 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. La gloire de l'homme de bien est le témoignage de sa conscience (1).
    Ayez la conscience pure et vous posséderez toujours la joie.
    La bonne conscience peut supporter beaucoup de choses et elle est pleine de joie dans les adversités.
    La mauvaise conscience est toujours inquiète et troublée.
    Vous jouirez d'un repos ravissant si votre cœur ne vous reproche rien.
    Ne vous réjouissez que d'avoir fait le bien.
    Les méchants n'ont jamais de véritable joie, ils ne possèdent point la paix intérieure, parce qu'il n'y a point de paix pour l'impie (2), dit le Seigneur.
    Et s'ils disent: Nous sommes dans la paix, les maux ne viendront pas sur nous; et qui oserait nous nuire (3)? ne les croyez pas car la colère de Dieu se lèvera soudain, et leurs œuvres seront réduites à rien, et leurs pensées périront (4).
  2. Se faire un sujet de gloire de la tribulation n'est pas difficile à celui qui aime: car se glorifier ainsi, c'est se glorifier dans la croix de Jésus-Christ (5).
    La gloire que les hommes donnent et reçoivent est courte.
    La tristesse accompagne toujours la gloire du monde.
    La gloire des bons est dans leur conscience et non dans la bouche des hommes.
    L'allégresse des justes est de Dieu et en Dieu, et leur joie vient de la vérité.
    Celui qui désire la gloire véritable et éternelle dédaigne la gloire du temps.
    Et celui qui recherche la gloire du temps et ne la méprise pas de toute son âme montre qu'il aime peu la gloire éternelle.
    Il jouit d'une grande tranquillité de cœur, celui que n'émeut ni la louange ni le blâme.
  3. Il sera aisément en paix et content, celui dont la conscience est pure.
    Vous n'êtes pas plus saint parce qu'on vous loue, ni plus imparfait parce qu'on vous blâme.
    Vous êtes ce que vous êtes, et tout ce qu'on pourra dire ne vous fera pas plus grand que vous ne l'êtes aux yeux de Dieu.
    Si vous considérez bien ce que vous êtes en vous-même, vous vous embarrasserez peu de ce que les hommes disent de vous.
    L'homme voit le visage, mais Dieu voit le cœur (6). L'homme regarde les actions; mais Dieu pèse l'intention.
    Faire toujours bien et s'estimer peu, c'est le signe d'une âme humble.
    Ne vouloir de consolation d'aucune créature, c'est la marque d'une grande pureté et d'une grande confiance intérieure.
  4. Quand on ne cherche au-dehors aucun témoignage en sa faveur, il est manifeste qu'on s'est entièrement remis à Dieu.
    Car ce n'est pas celui qui se recommande lui-même qui est approuvé, dit Saint Paul, mais celui que Dieu recommande (7).
    Avoir toujours Dieu présent au-dedans de soi et ne tenir à rien au-dehors, c'est l'état de l'homme intérieur.

    (1): Cor. II, ch. I, ver. 12.
    (
    2): Is., ch. XLVIII, ver. 22 & ch. LVII, ver. 21
    .
    (
    3): Jér., ch. V, ver. 12.
    (
    4): Ps. 145, ver. 4
    .
    (
    5):
    Rom., ch. V, ver. 3 & Gal., ch. VI, ver. 14.
    (6): Sam. I, ch. XVI, ver. 7.
    (7): Cor. II, ch. X, ver. 18
    .


Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Nul repos pour celui qui ne le trouve pas en soi. Le cœur inquiet, qui cherche au dehors dans les créatures la paix dont il est privé intérieurement, se fait une grande illusion; elle n'est pas là.
Pourquoi vous tromper vous-même ? La mer soulevée par les tempêtes n'est pas plus agitée que le monde et vous lui dites: Apaise mon trouble ! Il n'y a de calme que dans le sein de Dieu. Il n'y a de joie que dans la conscience pure. Les plaisirs distraient, les passions enivrent un moment. Mais ce moment passé, que reste-t-il ? Et encore que d'ennui souvent et que d'amertume pendant sa durée !
Vous représentez-vous, au contraire, une félicité comparable à celle qui accompagne l'innocence, quelque chose qui, dès ici-bas, ressemble plus au ciel que l'état d'une âme détachée de la terre et tranquille sous la main de Dieu qu'elle possède déjà par l'espérance et l'amour ? Eh bien donc, que cet état devienne le vôtre: venez et goûtez combien le Seigneur est doux (1). Faites un effort, veuillez seulement. Celui qui donne le bon vouloir vous donnera aussi de l'accomplir.

(1): Ps. XXXIII, ver. 9.


 **********