vendredi 24 avril 2020

De la considération de soi-même

1. Ne comptons point sur nous : car la faveur d'en haut
Et la saine raison souvent nous font défaut.
L'étincelle qui brille à notre intelligence,
Ah ! combien vite, hélas ! par notre négligence
Nous l'étouffons en nous ! Trop souvent, par malheur,
Un secret amour-propre aveugle notre cœur :
A nos actes mauvais nous donnons pire excuse.
La passion m'inspire,... et l'orgueil qui m'abuse
La convertit en zèle. Une légèreté
Est plus grave en autrui qu'en moi l'iniquité.
Ce qu'on souffre d'un frère, on le sent, on le pèse ;
Ce qu'on lui fait souffrir, on s'en met fort à l'aise.
Quel mortel, se jugeant selon la vérité,
Traita jamais personne avec sévérité ?

2. Pour l'homme intérieur, le souci qu'il préfère
Est d'amender ses mœurs : à cette unique affaire
Il consacre ses soins, et se tait sur autrui.
Demain, serez-vous donc plus fervent qu'aujourd'hui,
En censurant toujours les actions des autres,
Sans travailler jamais à réformer les vôtres ?
Que votre âme et Dieu seul provoquent vos efforts,
Vous serez peu touché des choses du dehors.
Que devient votre cœur, en sortant de lui-même ?
Aurait-il, par hasard, quelque intérêt suprême
A s'oublier sans cesse, à courir en tout lieu ?
Pour conserver la paix et vous unir à Dieu,
Ne songez qu'au salut ; méprisez tout le reste.

3. Si vous ne soupiriez qu'après l'amour céleste,
Vous feriez chaque jour de sensibles progrès ;
Mais si les biens du siècle ont pour vous des attraits,
Bientôt vous tomberez. Qu'à vos yeux sur la terre
Il ne soit rien de grand, rien qui puisse vous plaire,
Rien de doux, que Dieu seul et ce qui tient à lui.
Oh ! quelle vanité de chercher un appui,
De mettre son bonheur, en une créature !
Le monde entier n'est rien pour l'âme vraiment pure :
Dieu seul, remplissant tout, immuable, éternel,
Donne à cette âme heureuse un avant-goût du ciel.


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Nous ne devons pas trop compter sur nous-mêmes, parce que souvent la grâce et le jugement nous manquent.
    Nous n'avons en nous que peu de lumière, et ce peu, il est aisé de le perdre par négligence.
    Souvent nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au-dedans de nous.
    A de mauvaises actions souvent nous donnons de pires excuses.
    Quelquefois nous sommes mus par la passion et nous croyons que c'est par le zèle.
    Nous relevons de petites fautes dans les autres et nous nous en permettons de plus grandes.
    Nous sentons bien vite et nous pesons ce que nous souffrons des autres; mais tout ce qu'ils ont à souffrir de nous, nous n'y songeons point.
    Qui se jugerait équitablement soi-même, sentirait qu'il n'a droit de juger personne sévèrement.
  2. L'homme intérieur préfère le soin de soi-même à tout autre soin: et lorsqu'on est attentif à soi, on se tait aisément sur les autres.
    Vous ne serez jamais un homme intérieur et vraiment pieux, si vous ne gardez le silence sur ce qui vous est étranger, et si vous ne vous occupez principalement de vous-même.
    Si vous n'avez que Dieu et vous-même en vue, vous serez peu touché de ce que vous apercevrez au-dehors.
    Où êtes-vous quand vous n'êtes pas présent à vous-même ? Et que vous revient-il d'avoir tout parcouru, et de vous être oublié ?
    Si vous voulez posséder la paix et être véritablement uni à Dieu, il faut laisser là tout le reste, et ne penser qu'à vous seul.
  3. Vous ferez de grands progrès si vous vous dégagez de tous les soins du temps.
    Vous serez, au contraire, fatigué bien vite, si vous comptez pour quelque chose ce qui n'est que de ce monde.
    Qu'il n'y ait rien de grand à vos yeux, d'élevé, de doux, d'aimable, que Dieu seul, ou ce qui vient de Dieu.
    Regardez comme une pure vanité toute consolation qui repose sur la créature.
    L'âme qui aime Dieu méprise tout ce qui est au-dessous de Dieu.
    Dieu seul, éternel, immense et remplissant tout, est la consolation de l'âme et la vraie joie du cœur.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Quand vous sauriez ce qu'il y a de bon et de mauvais dans chaque homme, sans en excepter un seul, à quoi cela vous servirait-il, si vous vous ignorez vous-même ? On ne vous interrogera point, au dernier jour, sur la conscience d'autrui. Laissez donc là une sollicitude dont presque toujours l'orgueil et la malignité sont le principe. Et occupez-vous d'un soin plus agréable à Dieu et plus utile pour vous.
La grande, la vraie science est de se connaître soi-même. Ce doit être notre étude de tous les instants. Alors on apprend à se mépriser, à gémir sur la plaie de son cœur, sur l'amour-propre effréné qui nous domine, sur les secrètes convoitises qui nous tourmentent, et l'on s'écrie comme l'Apôtre: Qui me délivrera de ce corps de mort (1)? Heureuse, heureuse délivrance !
Mais que trouverons-nous après, si nous avons été fidèles ? Dieu, uniquement Dieu, et en lui toutes choses, toute consolation, tout bien. O mon âme, puisqu'il en est ainsi, commence dès ce moment même à te dégager du poids qui t'affaisse, de la terre et des créatures, pour ne t'attacher qu'à Dieu seul.

(1): Rom., ch. VII, ver. 24.


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