vendredi 27 mars 2020

De l'homme pacifique et bon

1. Volontiers au prochain vous conseillez la paix :
Vous-même tout d'abord ne la perdez jamais.
Un homme pacifique est utile à son frère,
Beaucoup plus qu'un savant. Le trouble et la colère
De tout changer en mal ont trouvé le moyen :
La paix et la douceur ramènent tout au bien.
Le pacifique est humble : il ne juge personne.
Un esprit mécontent s'inquiète et soupçonne,
Sans ombre de raison : la paix n'est point pour lui ;
Il ne saurait non plus la permettre en autrui.
Il parle trop souvent quand il faudrait se taire ;
Il omet sans remords le bien qu'il devrait faire :
Pour les devoirs d'autrui nul n'est moins indulgent ;
Pour ses propres devoirs nul n'est plus négligent.
Sur vous-même d'abord exercez votre zèle,
Vous pourrez du prochain prendre alors la tutelle.

2. Vous recourez pour vous à des palliatifs
Et ne savez d'un frère excuser les motifs :
Reconnaître vos torts serait plus équitable
Que de trouver autrui toujours inexcusable.
Supportez le prochain, pour être supporté.
Ah ! qu'elle est loin de vous, cette humble charité
Qui ne s'indigne point, qui jamais ne s'irrite,
Sinon contre elle-même ! Est-ce un si grand mérite
De vivre en bons rapports avec l'humble de cœur ?
Pour tous un tel commerce est rempli de douceur.
Volontiers nous gardons la paix avec les autres,
Lorsque leurs sentiments sont conformes aux nôtres ;
Mais savoir vivre en paix avec des gens pervers,
Durs, indisciplinés, supporter leurs travers,
C'est un don précieux, une vertu sublime,
Digne, au plus haut degré, de louange et d'estime.

3. Un ami de la paix la nourrit dans son cœur ;
Etre en paix avec tous fait son plus grand bonheur ;
Tandis que le hargneux, toujours insupportable,
Est à charge à lui-même, à charge à son semblable,
Car rien ne saurait plaire à cet esprit chagrin.
De ramener la paix dans le cœur du prochain
L'âme qui la possède en tout temps fut ravie.
Notre paix toutefois, en cette triste vie,
Consiste bien plutôt à souffrir humblement
Qu'à n'éprouver jamais aucun désagrément.
Mieux l'homme sait souffrir, plus sa paix est profonde :
Toujours paisible et doux, il est maître du monde ;
Il se combat lui-même en ennemi mortel ;
Il est l'ami du Christ et l'héritier du ciel.


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Conservez-vous premièrement dans la paix: et alors vous pourrez la donner aux autres.
    Le pacifique est plus utile que le savant.
    Un homme passionné change le bien en mal, et croit le mal aisément. L'homme paisible et bon ramène tout au bien.
    Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne; mais l'homme inquiet et mécontent est agité de divers soupçons: il n'a jamais de repos, et n'en laisse point aux autres.
    Il dit souvent ce qu'il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu'il faudrait faire.
    Attentif aux devoirs des autres, il néglige ses propres devoirs.
    Ayez donc premièrement du zèle pour vous-même, et vous pourrez ensuite avec justice l'étendre sur le prochain.
  2. Vous savez bien colorer et excuser vos fautes, et vous ne voulez pas recevoir les excuses des autres.
    Il serait plus juste de vous accuser vous-même et d'excuser votre frère.
    Si vous voulez qu'on vous supporte, supportez aussi les autres.
    Voyez combien vous êtes loin encore de la vraie charité et de l'humilité, qui jamais ne s'irrite et ne s'indigne que contre elle-même.
    Ce n'est pas une grande chose de bien vivre avec les hommes doux et bons, car cela plaît naturellement à tous; chacun aime son repos, et s'affectionne à ceux qui partagent ses sentiments.
    Mais vivre en paix avec des hommes durs, pervers, sans règle, ou qui nous contrarient, c'est une grande grâce, une vertu courageuse digne d'être louée.
  3. Il y en a qui sont en paix avec eux-mêmes et avec les autres.
    Et il y en a qui n'ont point la paix, et qui troublent celle d'autrui: ils sont à charge aux autres, et plus à charge à eux-mêmes.
    Il y en a, enfin, qui se maintiennent dans la paix et qui s'efforcent de la rendre aux autres.
    Au reste toute notre paix dans cette misérable vie, consiste plus dans une souffrance humble que dans l'exemption de la souffrance.
    Qui sait le mieux souffrir possédera la plus grande paix. Celui-là est vainqueur de soi et maître du monde, ami de Jésus-Christ et héritier du ciel.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu (1).
Comprenez la grandeur de ce nom et l'instruction profonde qu'il renferme. La paix, c'est l'ordre parfait: et le trouble, les dissensions, les discordes, la guerre, ne sont entrés dans le monde que par la violation de l'ordre ou par le péché. Ainsi, point de paix où règne le péché; point de paix dans l'homme dont les pensées, les affections, les volontés ne sont pas en tout conformes à l'ordre ou à la vérité et à la volonté de Dieu: point de paix dans la société dont les doctrines et les lois s'écartent de la loi et des doctrines révélées de Dieu.
Et quiconque, homme ou peuple, méprise cette loi, nie ces doctrines, ne fût-ce qu'en un seul point, cet homme, ce peuple rebelle à Dieu, subit à l'instant le châtiment de son crime. Un malaise inconnu s'empare de lui: je ne sais quelle force désordonnée le pousse et le repousse en tous sens, et nulle part il ne trouve de repos. Comme Caïn, après son meurtre, il a peur.
Non, la paix n'est, en effet, que pour les enfants de Dieu. Ils la goûtent en eux-mêmes, et la répandent sur les autres. Elle coule, pour ainsi dire, de leur cœur, comme ces fleuves qui arrosaient l'heureux séjour de notre premier père, au temps de son innocence. Et quand viendra la dernière heure, ce sera encore la paix, car le royaume de Dieu est justice et paix (2). Enfants de Dieu, entrez dans le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde (3).

(1): Matth., ch. V, ver. 9.
(1): Rom., ch. XIV, ver. 17.
(3): Matth., ch. XXV, ver. 34.


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