vendredi 3 janvier 2020

De la fervente réforme de notre vie tout entière

1. Pour être plus ardent au service de Dieu,
Rappelez-vous pourquoi vous vîntes en ce lieu :
N'est-il pas vrai qu'un jour vous quittâtes le monde
Pour ne point vous souiller à son contact immonde,
Pour devenir vraiment un homme intérieur ?
N'ayez donc d'autre but que de croître en ferveur ;
Car bientôt, affranchi de crainte et de souffrance,
Vous jouirez en paix de votre récompense.
Quelques labeurs encore..., et puis un grand repos !...
Un bonheur éternel pour prix de vos travaux !
Restez toujours pieux, fidèle à vos promesses,
Et Dieu dans votre cœur répandra ses largesses.
Gardez un ferme espoir de la félicité ;
Mais ne vous livrez point à la sécurité,
Si vous désirez fuir l'orgueil et l'indolence.

2. Un homme, balloté tantôt par l'espérance
Et tantôt par la crainte, en son trouble mortel
Entra dans une église. Au pied du saint autel,
Il épancha son âme : Oh ! dit-il en lui-même,
Si j'étais assuré de mon bonheur suprême !
Alors prêtant l'oreille à la voix du Seigneur,
Il l'entendit soudain lui dire au fond du cœur :
Si vous en étiez sûr, que voudriez-vous faire ?...
N'ayez d'autre souci que de toujours me plaire,
Et vous vivrez en paix. Consolé sur-le-champ,
Cet homme profita d'un avis si touchant,
Et son anxiété pour jamais prit la fuite ;
Car il ne songea plus à scruter dans la suite
Les conseils du Très-Haut : il ne fit plus qu'un vœu,
Celui d'être assuré du bon plaisir de Dieu,
Pour accomplir en tout sa volonté parfaite.

3. Espérez au Seigneur, nous dit le Roi-Prophète ;
Ayez pitié du pauvre et versez-lui votre or :
Vous aurez, dès l'exil, un merveilleux trésor.
(1)
Un obstacle souvent ralentit dans notre âme
La généreuse ardeur que le progrès réclame :
C'est la difficulté, c'est l'horreur du combat.
Semblables aux héros que nul revers n'abat,
Les vrais soldats du Christ, dans leur noble courage,
Aspirent aux exploits qui coûtent davantage ;
Car l'homme fit toujours d'autant plus de progrès
Qu'il sut mieux maîtriser la chair et ses attraits.

4. Mais tous n'ont pas besoin d'une égale vaillance
Pour vaincre les appas de la concupiscence.
Cependant le chrétien qu'enflamme un saint désir,
Fût-il fort éprouvé par l'attrait du plaisir,
Fera dans la vertu des progrès plus notables
Que d'autres moins fervents, d'ailleurs irréprochables.
Deux remèdes surtout guérissent nos travers :
Résister fortement à nos penchants pervers ;
Poursuivre avec ardeur ce qui manque à notre âme.
Dès qu'un zèle divin le pénètre et l'enflamme,
L'homme n'a d'autre but que d'extirper en lui
Jusqu'au moindre défaut qui le blesse en autrui.

5. Pour amender vos mœurs, il faut que tout vous serve :
L'exemple de vertu que son regard observe,
Un trait noble et touchant qu'on vient de lui citer,
Le chrétien généreux s'attache à l'imiter.
Mais lorsqu'il est témoin d'un fait répréhensible,
A l'exemple mauvais il reste inaccessible,
Ou s'il en prit scandale, il s'en repent soudain.
De même que votre œil observe le prochain,
Votre frère, à son tour, vous observe lui-même.
Quel ravissant spectacle et quel bonheur extrême
D'arrêter son regard sur des religieux
Simples et bien réglés, modestes et pieux !
Mais, hélas ! on éprouve une tristesse amère
D'en voir se détourner du chemin salutaire
Où par des vœux, un jour, ils se sont engagés.
Funeste aveuglement : sans en être chargés,
Ils sont pour d'autres soins remplis de diligence
Et montrent pour leur âme une triste indolence !

6. Gardez le souvenir des engagements pris
Et contemplez la croix, dont le ciel est le prix.
A l'aspect des tourments que le Seigneur affronte,
Ah ! vraiment pourriez-vous ne point rougir de honte,
En vous voyant encor lâche et peu désireux
De marcher sur les pas d'un Roi si généreux,
Bien que depuis longtemps vous ayez avec joie
Fait serment de le suivre en sa très noble voie ?
Un bon religieux, qui prie avec ferveur,
En méditant la vie et la mort du Sauveur,
Y trouve abondamment tous les biens désirables.
Quels trésors, en effet, leur seraient comparables ?
Savourant de la croix le délectable fruit,
Par elle il fut bientôt suffisamment instruit.

7. Sans être rebuté par une réprimande,
De tout cœur il se porte à ce qu'on lui commande.
Mais le religieux qui vit dans la tiédeur,
Ne rencontre partout qu'amertume et douleur :
Dévoré par l'ennui, toujours il se désole,
N'ayant point dans son cœur la grâce qui console,
Ne pouvant au dehors chercher aucun plaisir.
Celui qui, par malheur, ne tend qu'à s'affranchir
Du règlement commun, travaille à sa ruine :
En fuyant les rigueurs d'une âpre discipline,
Dans son relâchement sans cesse il gémira :
La règle en quelque point toujours lui déplaira.

8. Que de religieux, en d'autres monastères,
Sont astreints nuit et jour aux lois les plus austères !
Ils vivent retirés ; il sortent rarement,
Se nourrissent de peu, sont vêtus pauvrement ;
Rudes sont leurs travaux, et jamais la parole
Ne leur sert à nourrir un entretien frivole ;
Sur pied de grand matin, ils veillent chaque nuit ;
L'amour de la prière en tout lieu les poursuit ;
On les voit assidus aux pieuses lectures
Et constamment soumis aux règles les plus dures.
Contemplez les Chartreux, les moines de Cîteaux,
Des ordres de tout sexe, arrachés au repos
Par un ardent désir de se mêler aux anges
Et de payer à Dieu leur tribut de louanges.
Quelle honte pour vous d'être si lent parfois
A vous rendre à l'office, à l'heure où tant de voix
Ont déjà fait monter l'encens de la prière !

9. Heureux si nous n'avions, durant la vie entière,
Qu'à louer constamment, et de bouche et de cœur,
Le Très-Haut, notre Maître et notre Créateur !
Oh ! que ne pouvons-nous vivre sans nourriture,
Exempts de tous les soins qu'exige la nature,
Appliqués sans relâche à nous rendre parfaits,
A bénir l'Eternel, à chanter ses bienfaits !...
Quel bonheur d'être alors dégagés des entraves
Qui d'un corps de péché nous rendent les esclaves !
Plût à Dieu qu'affranchi de ces nécessités,
Notre esprit s'abreuvât aux saintes vérités,
Qu'hélas ! nous savourons si rarement sur terre !

10. Quand un homme en arrive à ne plus se complaire
En nulle créature, il commence dès lors
A goûter le Seigneur, à l'aimer sans efforts.
Rien ne peut le troubler dans sa paix ineffable ;
L'épreuve désormais le trouve inébranlable
Et la prospérité ne peut enfler son cœur :
Dieu seul est son espoir, Dieu seul est son bonheur,
Dieu, par qui tout s'anime et par qui tout respire,
Dont la terre et les cieux reconnaissent l'empire.

11. Sans cesse à votre fin songez donc désormais,
Puisque le temps perdu ne reviendra jamais.
C'est à force de soins et d'humble diligence
Que la vertu s'acquiert. Dès que par négligence
Votre cœur s'attiédit, vous sentez à l'instant
Le trouble et la douleur ; mais s'il devient fervent,
Vous éprouvez bientôt la paix la plus profonde :
Car alors, affermi par la grâce féconde,
L'amour de la vertu rend vos travaux légers.
Que sont aux yeux d'un saint des labeurs passagers ?...
Il est beaucoup plus dur de résister au vice
Que de plier son corps au plus âpre service.
Qui ne ferme son âme à tout dérèglement,
En de plus grands péchés tombe insensiblement.
(2)
Lorsqu'en œuvres de bien l'on passe la journée,
Par un soir de bonheur on la voit couronnée.
Sur vous-même avec soin veillez dès aujourd'hui :
Montrez-vous plein d'ardeur, quoi qu'il en soit d'autrui ;
Car le progrès d'une âme est d'autant plus rapide
Qu'à lutter sans relâche elle est plus intrépide.


(1): Ps. 36, ver. 3.
(2): Ecclésiastique, ch. XIX, ver. 1.


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Soyez vigilant et fervent dans le service de Dieu et faites-vous souvent cette demande: Pourquoi es-tu venu ici, et pourquoi as-tu quitté le siècle ?
    N'était-ce pas afin de vivre pour Dieu et devenir un homme spirituel ?
    Embrasez-vous du désir d'avancer parce que vous recevrez bientôt la récompense de vos travaux, et qu'alors il n'y aura plus ni crainte ni douleur.
    Maintenant un peu de travail, et puis un grand repos; que dis-je ? une joie éternelle !
    Si vous agissez constamment avec ardeur et fidélité, Dieu aussi sera sans doute fidèle et magnifique dans ses récompenses.
    Vous devez conserver une ferme espérance de parvenir à la gloire; mais il ne faut pas vous livrer à une sécurité trop profonde de peur de tomber dans le relâchement ou la présomption.
  2. Un homme qui flottait souvent, plein d'anxiété, entre la crainte et l'espérance, étant un jour accablé de tristesse, entra dans une église; et, se prosternant devant un autel pour prier, il disait et redisait en lui-même: Oh ! si je savais que je dusse persévérer ! Aussitôt il entendit intérieurement cette divine réponse: Si vous le saviez, que voudriez-vous faire ? Faites maintenant ce que vous feriez alors, et vous jouirez de la paix.
    Consolé à l'instant même et fortifié, il s'abandonna sans réserve à la volonté de Dieu et ses agitations cessèrent.
    Il ne voulut point rechercher avec curiosité ce qui lui arriverait dans l'avenir; mais il s'appliqua uniquement à connaître la volonté de Dieu et ce qui lui plaît davantage, afin de commencer et d'achever tout ce qui est bien.
  3. Espérez en Dieu, dit le Prophète, et faites le bien; habitez en paix la terre, et vous serez nourri de ses richesses (1). Une chose refroidit en quelques-uns l'ardeur d'avancer et de se corriger: la crainte des difficultés, et le travail du combat.
    En effet, ceux-là devancent les autres dans la vertu, qui s'efforcent avec plus de courage de se vaincre eux-mêmes dans ce qui leur est le plus pénible et qui contrarie le plus leur penchant.
    Car l'homme fait d'autant plus de progrès et mérite d'autant plus de grâce, qu'il se surmonte lui-même et se mortifie davantage.
  4. Il est vrai que tous n'ont pas également à combattre pour se vaincre et mourir à eux-mêmes.
    Cependant un homme animé d'un zèle ardent avancera bien plus, même avec de nombreuses passions, qu'un autre à cet égard mieux disposé, mais tiède pour la vertu.
    Deux choses aident surtout à opérer un grand amendement: s'arracher avec violence à ce que la nature dégradée convoite, et travailler ardemment à acquérir la vertu dont on a le plus grand besoin.
    Attachez-vous aussi particulièrement à éviter et à vaincre les défauts qui vous déplaisent le plus dans les autres.
  5. Profitez de tout pour votre avancement. Si vous voyez de bons exemples ou si vous les entendez raconter, animez-vous à les imiter.
    Que si vous apercevez quelque chose de répréhensible, prenez garde de commettre la même faute; ou, si vous l'avez quelquefois commise, tâchez de vous corriger promptement.
    Comme votre œil observe les autres, les autres vous observent aussi.
    Qu'il est consolant et doux de voir des religieux zélés, pieux, fervents, fidèles observateurs de la règle !
    Qu'il est triste, au contraire, et pénible d'en voir qui ne vivent pas dans l'ordre et qui ne remplissent pas les engagements auxquels ils ont été appelés !
    Qu'on se nuit à soi-même en négligeant les devoirs de sa vocation, et en détournant son cœur à des choses dont on n'est point chargé !
  6. Souvenez-vous de ce que vous avez promis, et que Jésus crucifié vous soit toujours présent.
    Vous avez bien sujet de rougir, en considérant la vie de Jésus-Christ, d'avoir jusqu'ici fait si peu d'efforts pour y conformer la vôtre, quoique vous soyez depuis si longtemps entré dans la voie de Dieu.
    Un religieux qui s'exerce à méditer sérieusement et avec piété la vie très sainte et la passion du Sauveur, y trouvera en abondance tout ce qui lui est utile et nécessaire, et il n'a pas besoin de chercher hors de Jésus quelque chose de meilleur.
    Ah ! si Jésus crucifié entrait dans notre cœur, que nous serions bientôt suffisamment instruits !
  7. Un religieux fervent reçoit bien ce qu'on lui commande et s'y soumet sans peine.
    Un religieux tiède et relâché souffre tribulation sur tribulation et ne trouve de tous côtés que la gêne, parce qu'il est privé des consolations intérieures et qu'il lui est interdit d'en chercher au-dehors.
    Un religieux qui s'affranchit de sa règle est exposé à des chutes terribles.
    Celui qui cherche une vie moins contrainte et moins austère sera toujours dans l'angoisse; car toujours quelque chose lui déplaira.
  8. Comment font tant d'autres religieux qui observent, dans les cloîtres, une si étroite discipline ?
    Ils sortent rarement, ils vivent retirés, ils sont nourris très pauvrement et grossièrement vêtus.
    Ils travaillent beaucoup, parlent peu, veillent longtemps, se lèvent matin, font de longues prières, de fréquentes lectures, et observent en tout une exacte discipline.
    Considérez les chartreux, les religieux de Cîteaux, et les autres religieux et religieuses de différents ordres, qui se lèvent toutes les nuits pour chanter les louanges de Dieu.
    Il serait donc bien honteux que la paresse vous tînt encore éloigné d'un si saint exercice lorsque déjà tant de religieux commencent à célébrer le Seigneur.
  9. Oh ! si vous n'aviez autre chose à faire qu'à louer de cœur et de bouche, perpétuellement, le Seigneur notre Dieu ! Si jamais vous n'aviez besoin de manger, de boire, de dormir, et que vous puissiez ne pas interrompre un seul moment ces louanges ni les autres exercices spirituels ! Vous seriez alors beaucoup plus heureux qu'à présent, assujetti comme vous l'êtes au corps et à toutes ses nécessités.
    Plût à Dieu que nous fussions affranchis de ces nécessités et que nous n'eussions à songer qu'à la nourriture de notre âme, que nous goûtons, hélas, si rarement !
  10. Quand un homme en est venu à ne chercher sa consolation dans aucune créature, c'est alors qu'il commence à goûter Dieu parfaitement, et qu'il est, quoiqu'il arrive, toujours satisfait.
    Alors il ne se réjouit d'aucune prospérité et aucun revers ne le contriste; mais il s'abandonne tout entier, avec une pleine confiance, à Dieu qui lui est tout en toutes choses, pour qui rien ne périt, rien ne meurt, pour qui au contraire tout vit, et à qui tout obéit sans délai.
  11. Souvenez-vous toujours que votre fin approche et que le temps perdu ne revient point. Les vertus ne s'acquièrent qu'avec beaucoup de soins et des efforts constants.
    Dès que vous commencerez à tomber dans la tiédeur, vous tomberez dans le trouble.
    Mais si vous persévérez dans la ferveur, vous trouverez une grande paix et vous sentirez votre travail plus léger, à cause de la grâce de Dieu et de l'amour de la vertu.
    L'homme fervent et zélé est prêt à tout.
    Il est plus pénible de résister aux vices et aux passions que de supporter les fatigues du corps.
    Celui qui n'évite pas les petites fautes tombe peu à peu dans les grandes (2).
    Vous vous réjouirez toujours le soir, quand vous aurez employé le jour avec fruit.
    Veillez sur vous, excitez-vous, avertissez-vous; et quoiqu'il en soit des autres, ne vous négligez pas vous-même.
    Vous ne ferez de progrès qu'autant que vous vous ferez violence.

    (1): Ps. 36, ver. 3.(2): Ecclésiastique, ch. XIX, ver. 1.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Êtes-vous sincèrement résolu à vous sauver? En avez-vous la volonté ferme? Alors préparez-vous au travail, au combat, car le salut est à ce prix. La voie qui conduit à la perte est large, mais qu'étroite, dit l’Évangile, est celle qui conduit à la vie (1) !
Sans doute l'onction de la grâce adoucit pour le fidèle ce travail, ce combat. Au milieu des fatigues et des souffrances, il jouit d'une paix céleste que le pécheur ne connaît point. Cependant il a besoin de continuels efforts pour triompher de lui-même, pour vaincre ses désirs, ses passions et le monde, et le prince de ce monde (2). Qui a fait les saints, sinon cette lutte courageuse et persévérante? Les uns ont été tourmentés, ne voulant pas racheter leur vie, afin d'en trouver une meilleure dans la résurrection. Les autres ont souffert les moqueries, les fouets, les chaînes et les prisons. Ils ont été lapidés, sciés, éprouvés en toute manière. Ils sont morts par le tranchant du glaive; vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, oppressés par le besoin, l'affliction, l'angoisse, ils ont erré dans les déserts, et dans les montagnes, et dans les antres, et dans les cavernes de la terre, eux dont le monde n'était pas digne.
Enveloppés donc d'une si grande nuée de témoins, dégageons-nous de tout ce qui nous appesantit et du péché qui nous environne, et courons par la patience au combat qui nous est proposé, les regards fixés sur Jésus, l'auteur et le consommateur de la foi, qui, en vue de la joie qui lui était préparée, a souffert la croix, en méprisant l'ignominie. Et maintenant il est assis à la droite du trône de Dieu (3).

(1): Matth., ch. VII, ver. 13-14.
(2): Jean, ch. XIV, ver. 30.
(3): Héb., ch. XI, ver. 35-38, ch. XII, ver. 1-2.


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