vendredi 15 novembre 2019

Du jugement et des peines des pécheurs

1. En toute chose on doit considérer la fin :
Comment soutiendrez-vous, au Tribunal divin,
La colère d'un Juge équitable, inflexible,
D'un Juge qui sait tout, d'un Juge incorruptible ?
Vous tremblez à l'aspect d'un mortel irrité,...
Que sera-ce, ô pécheur, quand la Divinité,
Qui voit à découvert tous nos pensers intimes,
Aux yeux du monde entier dévoilera vos crimes ?
Ah ! songez à ce jour d'effroyable rigueur,
Où nul, pour l'excuser, n'aura de défenseur,
Jour redoutable même à l'âme vertueuse !
Toute peine ici-bas peut être fructueuse,
Une larme agréée, un soupir entendu :
Quel humble pénitent fut jamais confondu ?

2. Vraiment il fait sur terre un ample purgatoire,
Il amasse un trésor de mérite et de gloire,
Le juste patient qui déplore bien plus
La malice d'autrui que les affronts reçus ;
Qui sans cesse à l'injure oppose la prière,
Pardonne de grand cœur, sans ombre de colère,
N'hésitant point lui-même à demander pardon ;
Qui se montre envers tous compatissant et bon ;
Qui sait à chaque instant se faire violence
Et réclamer du corps une humble obéissance.
Ah ! pleurons ici-bas sur notre iniquité,
Pour ne point en gémir durant l'éternité.
C'est se tromper, hélas ! d'une manière étrange
Que de prostituer son amour à la fange !

3. Eh ! quel autre aliment ont les feux éternels
Que les désirs impurs, les actes criminels !
Plus pour l'ignoble vice on montre d'indulgence,
Plus Dieu sera terrible au jour de la vengeance
Et plus on se prépare un affreux avenir.
Par où l'homme a péché Dieu saura le punir :
Là, l'aiguillon brûlant harcèle l'indolence ;
Et la soif et la faim pressent l'intempérance ;
Dans le soufre et la poix, changés en flots de feux,
Sont plongés l'impudique et le voluptueux ;
L'envieux, à son tour, hurle et frémit de rage,
Et d'un chien furieux il présente l'image.

4. Aucun vice, en enfer, qui n'ait son châtiment :
Là, revient à l'avare un affreux dénûment,
Et la honte à jamais confondra le superbe.
La douleur, en ces lieux, est tellement acerbe
Qu'une heure au réprouvé paraît plus de cent ans
Passés dans les labeurs des plus saints pénitents.
Nul repos au damné, qui sans fin se désole.
Au séjour de l'exil, du moins l'on se console
Quand parfois on rencontre une douce amitié.
Pour vous-même, à cette heure, ah ! soyez sans pitié,
Afin qu'au dernier jour, Jésus-Christ, votre Juge,
Ainsi qu'aux bienheureux, vous serve de refuge :
Car alors contre ceux qui les chargent d'affronts
Les élus du Seigneur redresseront leurs fronts ;
(1)
Eux que l'on vit marcher humblement au supplice,
Alors ils siégeront pour rendre la justice ;
L'humble et le pauvre alors trôneront dans les cieux ;
D'épouvante et d'horreur séchera l'orgueilleux.

5. Alors on jugera qu'en ce monde il fut sage,
Celui qui pour le Christ sut endurer l'outrage
Et d'un cœur généreux souffrit l'adversité.
Dieu fermera la bouche à toute iniquité. (2)
Les méchants gémiront sous sa main vengeresse ;
Le juste nagera dans des flots d'allégresse,
S'applaudissant alors d'avoir vaincu la chair
Et de honteux plaisirs dont le terme est l'enfer.
Alors resplendiront les vêtements de bure ;
Alors se ternira la plus riche parure.
L'humble chaumière alors sera d'un plus grand prix
Que d'un palais doré les somptueux lambris.
Couronnant la douceur, la force et la constance,
Dieu broîra sans pitié le siècle et sa puissance ;
Et la docilité du cœur simple et pieux
Déjoûra les calculs d'un monde astucieux.

6. Aux plus doctes leçons de la philosophie
On verra préférer une humble et chaste vie,
Et le mépris des biens sera d'un plus grand poids
Que tout l'or entassé dans les coffres des rois.
Alors le souvenir d'une oraison fervente
Réjouira bien plus qu'une table opulente ;
Le silence, observé par un motif chrétien,
Sera plus consolant qu'un joyeux entretien ;
La vertu prévaudra sur la haute éloquence.
Une conduite austère, une âpre pénitence,
Sera plus douce alors qu'un siècle de plaisir.
En ce monde qui passe, il faut savoir souffrir,
Pour échapper sans fin à d'horribles tortures.
Faites un peu l'essai de vos forces futures.
Vous qu'on voit abattu par le moindre chagrin,
Pourrez-vous supporter un malheur souverain ?
Si la plus faible épreuve est pour vous un supplice,
Ah ! que sera l'enfer ! Si tout votre délice
Est d'être courtisan d'un monde corrupteur,
Comment régner au ciel avec le Rédempteur ?

7. Quand vous auriez vécu jusqu'ici dans la joie,
La gloire et les honneurs, vous deviendrez la proie
D'irréparables maux, si la mort vous surprend.
Donc tout est vanité (3) pour le pauvre mourant,
Hormis l'amour céleste et l'humble obéissance.
Qui chérit de tout cœur la Bonté par essence
Ne peut craindre la mort, l'éternel châtiment :
Il rira de l'enfer au jour du Jugement ;
Car le parfait amour donne un accès facile
Auprès d'un Dieu sauveur. Mais, pour l'homme indocile,
Quand il songe au Très-Haut, son redoutable Roi,
Quoi donc de surprenant qu'il soit glacé d'effroi ?
Lorsqu'à l'amour divin l'on est inaccessible,
Bienheureux qu'à la crainte on soit du moins sensible.
Sans ce dernier rempart, on ne peut rester bon,
Et bientôt on succombe aux pièges du démon.


(1): Sag., ch. V, ver. 1.
(2): Ps. 106, ver. 42.
(3): Eccl., ch. I, ver. 2.



 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. En toutes choses regardez la fin, et reportez-vous au jour où vous serez là, debout devant le Juge sévère à qui rien n'est caché, qu'on n'apaise point par des présents, qui ne reçoit point d'excuses, mais qui jugera selon la justice.
    Pécheur misérable et insensé ! que répondrez-vous à Dieu, qui sait tous vos crimes, vous qui tremblez quelquefois à l'aspect d'un homme irrité ?
    Par quel étrange oubli de vous-même vous en allez-vous, sans rien prévoir, vers ce jour où nul ne pourra être excusé ni défendu par un autre, mais où chacun sera pour soi un fardeau assez pesant ?
    Maintenant votre travail produit son fruit: vos larmes sont agréées, vos gémissements écoutés, votre douleur satisfait à Dieu et purifie votre âme.
  2. Il a ici-bas un grand et salutaire purgatoire, l'homme patient qui, en butte aux outrages, s'afflige plus de la malice d'autrui que de sa propre injure; qui prie sincèrement pour ceux qui le contristent, et leur pardonne du fond du cœur; qui, s'il a peiné les autres, est toujours prêt à demander pardon; qui incline à la compassion plus qu'à la colère; qui se fait violence à lui-même, et s'efforce d'assujettir entièrement la chair à l'esprit.
    Il vaut mieux se purifier maintenant de ses péchés et retrancher ses vices, que d'attendre de les expier en l'autre vie.
    Oh ! combien nous nous trompons nous-mêmes par l'amour désordonné que nous avons pour notre chair.
  3. Que dévorera ce feu, sinon vos péchés ?
    Plus vous vous épargnez vous-même à présent, et plus vous flattez votre chair, plus ensuite votre châtiment sera terrible et plus vous amassez pour le feu éternel.
    L'homme sera puni plus rigoureusement dans les choses où il a le plus péché.
    Là les paresseux seront percés par des aiguillons ardents, et les intempérants tourmentés par une faim et une soif extrêmes.
    Là les voluptueux et les impudiques seront plongés dans une poix brûlante et dans un soufre fétide; comme des chiens furieux, les envieux hurleront dans leur douleur.
  4. Chaque vice aura son tourment propre.
    Là les superbes seront remplis de confusion, et les avares réduits à la plus misérable indigence.
    Là une heure sera plus terrible dans le supplice, que cent années ici dans la plus dure pénitence.
    Ici quelquefois le travail cesse, on se console avec ses amis: là nul repos, nulle consolation pour les damnés.
    Soyez donc maintenant plein d'appréhension et de douleur pour vos péchés, afin de partager, au jour du jugement, la sécurité des bienheureux.
    Car les justes alors s'élèveront avec une grande assurance contre ceux qui les auront opprimés et méprisés (1).
    Alors se lèvera pour juger celui qui se soumet aujourd'hui humblement aux jugements des hommes.
    Alors l'humble et le pauvre auront une grande confiance; et de tous côtés l'épouvante environnera le superbe.
  5. Alors on verra qu'il fut sage en ce monde, celui qui apprit à être insensé et méprisable pour Jésus-Christ.
    Alors on s'applaudira des tribulations souffertes avec patience, et toute iniquité sera muette (2).
    Alors tous les justes seront transportés d'allégresse, et tous les impies consternés de douleur.
    Alors la chair affligée se réjouira plus que si elle avait toujours été nourrie dans les délices.
    Alors les vêtements pauvres resplendiront, et les habits somptueux perdront tout leur éclat.
    Alors la plus pauvre petite demeure sera jugée au-dessus du palais tout brillant d'or.
    Alors une patience constamment soutenue sera de plus de secours que toute la puissance du monde; et une obéissance simple, élevée plus haut que toute la prudence du siècle.
  6. Alors on trouvera plus de joie dans la pureté d'une bonne conscience que dans une docte philosophie.
    Alors le mépris des richesses aura plus de poids dans la balance que tous les trésors de la terre.
    Alors le souvenir d'une pieuse prière vous sera de plus de consolation que celui d'un repas splendide.
    Alors vous vous réjouirez plus du silence gardé que de longs entretiens.
    Alors les œuvres saintes l'emporteront sur les beaux discours.
    Alors vous préférerez une vie de peine et de travail à tous les plaisirs de la terre.
    Apprenez donc maintenant à supporter quelques légères souffrances afin d'être alors délivré de souffrances plus grandes.
    Eprouvez ici d'abord ce que vous pourrez dans la suite.
    Si vous ne pouvez maintenant souffrir ce peu de chose, comment supporterez-vous les tourments éternels ?
    Si maintenant la moindre douleur vous cause tant d'impatience, que sera-ce donc alors des tortures de l'enfer ?
    Il y a, n'en doutez point, deux joies qu'on ne peut réunir: vous ne pouvez goûter ici-bas les délices du monde, et régner ensuite avec Jésus-Christ.
  7. Si vous aviez vécu jusqu'à ce jour dans les honneurs et les voluptés, de quoi cela vous servirait-il, s'il vous fallait mourir à l'instant ?
    Donc tout est vanité (3), hors aimer Dieu et le servir lui seul.
    Car celui qui aime Dieu de tout son cœur ne craint ni la mort, ni le supplice, ni le jugement, ni l'enfer, parce que l'amour parfait nous donne un sûr accès près de Dieu.
    Mais celui qui aime encore le péché, il n'est pas surprenant qu'il redoute la mort et le jugement.
    Cependant, si l'amour ne vous éloigne pas encore du mal, il est bon qu'au moins la crainte du feu vous retienne.
    Celui qui est peu touché de la crainte de Dieu ne saurait longtemps persévérer dans le bien, mais il tombera bientôt dans les pièges du démon.

    (1): Sag., ch. V, ver. 1.
    (2): Ps. 106, ver. 42.
    (3): Eccl., ch. I, ver. 2
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Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Dieu est patient, dit saint Augustin, parce qu'il est éternel. Mais, après les jours de patience, viendra le jour de la justice: jour d'effroi, jour inévitable, où toute chair comparaîtra devant le Roi de l'éternité, pour rendre compte de ses œuvres et de ses pensées même.
Transportez-vous en esprit à ce moment formidable: voilà que la poussière des tombeaux s'émeut, et de toutes parts la foule des morts accourt aux pieds du souverain Juge. Là tous les secrets sont dévoilés, la conscience n'a plus de ténèbres, et chacun attend en silence le sort qui lui est destiné pour toujours. Les deux cités se séparent, la grande sentence est prononcée: elle ouvre le paradis aux justes et tombe sur les pécheurs avec tout le poids d'une éternelle réprobation.
Environné des Anges fidèles et de la troupe resplendissante des élus, Jésus-Christ remonte dans sa gloire. Satan saisit sa proie et l'entraîne dans l'abîme. Tout est consommé à jamais. Il ne reste plus que les joies du ciel et le désespoir de l'enfer. Pendant que vous êtes encore sur la terre, le choix entre ces demeures vous est laissé : choisissez donc. Mais n'oubliez pas qu'il n'y a point de repentir de l'autre côté de la tombe.


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