vendredi 8 novembre 2019

De la méditation de la mort

1. De l'homme en un instant c'en est fait ici-bas :
Rentrez donc en vous-même et songez au trépas.
Un tel est maintenant plein de force et de vie :
Demain la mort le frappe, et bientôt on l'oublie.
O comble de démence et de stupidité !...
On pense aux biens du temps plus qu'à l'éternité !
Réglez donc chaque jour votre conduite entière,
Comme si vous étiez à votre heure dernière.
Les justes au trépas tremblent moins pour leur sort.
Mieux vaut fuir le péché que d'éviter la mort.
Demain, mieux qu'en ce jour, au tribunal du Maître,
Serez-vous en état de pouvoir comparaître ?...
Demain, bien-aimé frère, est un jour incertain :
Fûtes-vous jamais sûr d'avoir un lendemain ?

2. De longs jours devraient-ils être un objet d'envie,
Alors qu'on fait si peu pour amender sa vie ?
Trop souvent on vieillit sans devenir meilleur,
Quand on ne devient pas encor plus grand pécheur.
Si du moins un seul jour, sur cette triste terre,
Nous avions bien vécu ! Comment donc se complaire
A remonter au temps où l'on revint à Dieu,
Lorsque dans la vertu l'on a grandi si peu !
Si les traits de la mort nous semblent redoutables,
Souvent des jours nombreux sont bien plus regrettables.
Heureux qui sans relâche a la mort sous les yeux
Et s'apprête à franchir un pas si périlleux !
Peut-être votre main a clos une paupière ?...
Ainsi l'on fermera votre œil à la lumière.

3. Le matin, se flatter de parvenir au soir
Ou, le soir, au matin, c'est un frivole espoir :
On prévient, en veillant, d'effroyables méprises...
Tous les jours par la mort que d'âmes sont surprises !
Soudain, comme un voleur, votre Juge viendra. (1)
A l'instant où pour vous cette heure sonnera,
Sur vos affections et vos œuvres passées
Que vous aurez, hélas ! de bien autres pensées !...
D'avoir vécu sans frein vous gémirez alors.

4. Heureux l'homme prudent qui fait tous ses efforts
Pour vivre chaque jour comme à son jour suprême !
Ce qui donne au mourant l'espoir que son Dieu l'aime,
C'est le mépris du monde et le désir ardent
Dont il fut embrasé d'être un chrétien fervent ;
C'est une vie austère, une humble pénitence ;
C'est l'abnégation, la prompte obéissance,
Le support de la croix par amour pour Jésus.
La santé, d'ordinaire, est plus propre aux vertus ;
La maladie, hélas ! moins souvent nous rend sages,
Comme un trop vif attrait pour les pèlerinages
Fit rarement des saints.

5. Eh ! quel juste a compté
Sur l'amitié d'un homme ou sur la parenté,
Pour conquérir les cieux ? Comme un songe frivole,
D'un mortel qui n'est plus le souvenir s'envole.
Travaillons dès cette heure à nous pourvoir à temps,
En faisant quelque bien : pourrions-nous, imprudents,
Remettre en d'autres mains notre intérêt suprême ?
Si vous fûtes sur terre indolent pour vous-même,
De vous, après la mort, qui sera soucieux ?
Que le temps qui s'enfuit vous est donc précieux !
C'est le jour du salut, c'est l'instant favorable. (2)
Mais vous faites, hélas ! un abus déplorable
D'un bien qui vous vaudrait le bonheur éternel !
Peut-être, quelque jour, vous crierez vers le Ciel
Pour obtenir le temps d'un retour salutaire,...
Serez-vous exaucé ?... redoutable mystère !

6. Ah ! frère bien-aimé, de quel péril affreux
Vous serez affranchi, quels tourments rigoureux
Vous aurez évités, si l'humble et chaste crainte
Vous prépare à toute heure une mort vraiment sainte !
Vivez donc désormais, vivez dans la ferveur,
Afin qu'à votre mort la céleste douceur,
Comme un torrent divin, de ses flots vous inonde.
Apprenez dès cette heure à bien mourir au monde,
A mépriser pour Dieu tout bonheur qui périt,
A trouver en Jésus la liberté d'esprit.
Châtiez votre chair et faites pénitence,
Pour avoir à la mort une sainte assurance.

7. Insensé ! votre espoir est de vivre longtemps ?...
Etes-vous assuré du plus court des instants ?
Combien dont le trépas a déçu l'espérance,
En survenant soudain, contre toute apparence !
Que de fois l'on vous dit : Tel homme s'est noyé ;
Tel est mort par le glaive ; un autre s'est broyé,
Pour s'être laissé choir du haut d'un édifice !
Aveuglément fidèle à son terrible office,
La mort frappe au hasard, à table comme au jeu :
Et le fer des voleurs, et la peste et le feu,
Lui servent tour à tour à moissonner les hommes.
Une ombre qui s'enfuit, (3) voilà ce que nous sommes.

8. Qui donc se souviendra de vous après la mort ?...
Qui priera le Seigneur d'adoucir votre sort ?
A l'œuvre donc, à l'œuvre, ô mon bien-aimé frère !
Et faites sur-le-champ ce que vous pouvez faire,
Puisque, incertain du jour où le trépas viendra,
Vous ignorez quel sort il vous apportera.
Pendant qu'il en est temps, amassez des richesses
Qui ne périront point. Des divines promesses
Gardez le souvenir ; ne songez qu'au salut.
Cherchez à plaire à Dieu : n'ayez pas d'autre but.
Pour qu'au ciel à jamais votre regard contemple
La splendeur des élus, (4) imitez leur exemple :
C'est en les honorant qu'on gagne leur faveur. (4)

9. Qu'êtes-vous ici-bas qu'un pauvre voyageur ?
Sur la plage étrangère, en tourments si féconde,
Restez indifférent aux choses de ce monde.
Que votre cœur soit libre, et qu'il monte vers Dieu,
Puisque pour vous sur terre il n'est en aucun lieu
De cité permanente.
(5) Apprenez que les larmes,
Les vœux et les soupirs, sont d'invincibles armes
Pour conquérir un trône au céleste séjour.
Puisse le Roi des rois vous couronner un jour !


(1): Luc, ch. XII, ver. 40.
(2): Cor. II, ch. VI, ver. 2.
(3): Ps. 143, ver. 4.
(4): Luc, ch. XVI, ver. 9.
(5): Héb., ch. XIII, ver. 14.



 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. C'en sera fait de vous bien vite ici-bas: voyez donc en quel état vous êtes.
    L'homme est aujourd'hui, et demain il a disparu, et quand il n'est plus sous les yeux, il passe bien vite de l'esprit.
    O stupidité et dureté du cœur humain, qui ne pense qu'au présent et ne prévoit pas l'avenir !
    Dans toutes vos actions, dans toutes vos pensées, vous devriez être tel que vous seriez s'il vous fallait mourir aujourd'hui.
    Si vous aviez une bonne conscience, vous craindriez peu la mort.
    Il vaudrait mieux éviter le péché que fuir la mort.
    Si aujourd'hui vous n'êtes pas prêt, comment le serez-vous demain ?
    Demain est un jour incertain: et que savez-vous si vous aurez un lendemain ?
  2. Que sert de vivre longtemps puisque nous nous corrigeons si peu ?
    Ah ! une longue vie ne corrige pas toujours; souvent plutôt elle augmente nos crimes.
    Plût à Dieu que nous eussions bien vécu dans ce monde un seul jour !
    Plusieurs comptent les années de leur conversion; mais souvent, qu'ils sont peu changés, et que ces années ont été stériles !
    S'il est terrible de mourir, peut-être est-il plus dangereux de vivre si longtemps.
    Heureux celui à qui l'heure de sa mort est toujours présente, et qui se prépare chaque jour à mourir !
    Si vous avez vu jamais un homme mourir, songez que vous aussi vous passerez par cette voie.
  3. Le matin, pensez que vous n'atteindrez pas le soir; le soir, n'osez pas vous promettre de voir le matin.
    Soyez donc toujours prêt, et vivez de telle sorte que la mort ne vous surprenne jamais.
    Plusieurs sont enlevés par une mort soudaine et imprévue: car le Fils de l'homme viendra à l'heure qu'on n'y pense pas (1).
    Quand viendra cette dernière heure, vous commencerez à juger tout autrement de votre vie passée, et vous gémirez amèrement d'avoir été si négligent et si lâche.
  4. Qu'heureux et sage est celui qui s'efforce d'être tel dans la vie qu'il souhaite d'être trouvé à la mort.
    Car rien ne donnera une si grande confiance de mourir heureusement, que le parfait mépris du monde, le désir ardent d'avancer dans la vertu, l'amour de la régularité, le travail de la pénitence, l'abnégation de soi-même et la constance à souffrir toutes sortes d'adversités pour l'amour de Jésus-Christ.
    Vous pourrez faire beaucoup de bien tandis que vous êtes en santé; mais, malade, je ne sais ce que vous pourrez.
    Il en est peu que la maladie rende meilleurs, comme il en est peu qui se sanctifient par de fréquents pèlerinages.
  5. Ne comptez point sur vos amis ni sur vos proches, et ne différez point votre salut dans l'avenir; car les hommes vous oublieront plus vite que vous ne pensez.
    Il vaut mieux y pourvoir de bonne heure et envoyer devant soi un peu de bien, que d'espérer dans le secours des autres.
    Si vous n'avez maintenant aucun souci de vous-même, qui s'inquiétera de vous dans l'avenir ?
    Maintenant le temps est d'un grand prix. Voici maintenant le temps propice, voici le jour du salut (2).
    Mais, ô douleur ! que vous fassiez un si vain usage de ce qui pourrait vous servir à mériter de vivre éternellement !
    Viendra le temps où vous désirerez un seul jour, une seule heure, pour purifier votre âme, et je ne sais si vous l'obtiendrez.
  6. Ah ! mon frère, de quel péril, de quelle crainte terrible vous pourriez vous délivrer si vous étiez à présent toujours en crainte de la mort !
    Etudiez-vous maintenant à vivre de telle sorte qu'à l'heure de la mort vous ayez plus sujet de vous réjouir que de craindre.
    Apprenez maintenant à mourir au monde afin de commencer alors à vivre avec Jésus-Christ.
    Apprenez maintenant à tout mépriser, afin de pouvoir alors aller librement à Jésus-Christ.
    Châtiez maintenant votre corps par la pénitence afin que vous puissiez alors avoir une solide confiance.
  7. Insensés, sur quoi vous promettez-vous de vivre longtemps, lorsque vous n'avez pas un seul jour d'assuré ?
    Combien ont été trompés et arrachés subitement de leur corps !
    Combien de fois avez-vous ouï dire: Cet homme a été tué d'un coup d'épée; celui-ci s'est noyé, celui-là s'est brisé en tombant d'un lieu élevé; l'un a expiré en mangeant, l'autre en jouant; l'un a péri par le feu, un autre par le fer, un autre par la peste, un autre par la main des voleurs !
    Et ainsi la fin de tous est la mort (3), et la vie des hommes passe comme l'ombre (4).
  8. Qui se souviendra de vous après votre mort, et qui priera pour vous ?
    Faites, faites maintenant, mon cher frère, tout ce que vous pouvez, car vous ne savez pas quand vous mourrez, ni ce qui suivra pour vous la mort.
    Tandis que vous en avez le temps, amassez des richesses immortelles.
    Ne pensez qu'à votre salut, ne vous occupez que des choses de Dieu.
    Faites-vous maintenant des amis, en honorant les saints et en imitant leurs œuvres, afin qu'arrivé au terme de cette vie, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels (5).
  9. Vivez sur la terre comme un voyageur et un étranger à qui les choses du monde ne sont rien.
    Conservez votre cœur libre et toujours élevé vers Dieu, parce que vous n'avez point ici-bas de demeure permanente (6).
    Que vos gémissements, vos larmes, vos prières, montent tous les jours vers le ciel afin que votre âme, après la mort, mérite de passer heureusement à Dieu.

    (1): Luc, ch. XII, ver. 40.
    (2): Cor. II, ch. VI, ver. 2.
    (3): Job, ch. XIV, ver. 10.(4): Ps. 143, ver. 4.
    (5): Luc, ch. XVI, ver. 9.
    (6): Héb., ch. XIII, ver. 14
    .


Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Approchez-vous de cette fosse, regardez ces ossements blanchis et déjoints: voilà tout ce qui reste ici-bas d'un homme que vous avez connu peut-être et qui ne pensait pas plus à la mort, il y a peu d'années, que vous n'y pensez aujourd'hui.
Ne fallait-il pas, en effet, qu'il songeât d'abord à sa fortune, à celle des siens, à l'établissement de sa famille? Aussi s'en est-il occupé jusqu'au dernier moment. Eh bien! Maintenant allez, entrez dans sa maison. Des héritiers indifférents y jouissent des biens qu'il avait amassés, et travaillent eux-mêmes à en amasser de nouveaux. Du reste, nul souvenir du mort.
Quelque chose de lui subsiste cependant, et la tombe ne le renferme pas tout entier. Il avait une âme, une âme rachetée du sang de Jésus-Christ. Où est-elle? A l'instant où elle quitta le corps, sa demeure fut fixée, ou dans le ciel sans crainte désormais, ou dans l'enfer sans espérance. Terrible, terrible alternative! Et, à présent, plongez-vous dans les soins de la terre, différez votre conversion. Dites encore: il sera temps demain. Insensé ! Ce temps dont tu abuses, creuse ta fosse, et demain sera l'éternité.


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