vendredi 11 octobre 2019

De la componction du cœur

1. Désirez-vous grandir chaque jour en ferveur ?
Gardez comme un trésor la crainte du Seigneur
Et maîtrisez vos sens par une règle austère ;
Car, c'est en dédaignant tout plaisir éphémère,
C'est en ouvrant son cœur à la componction,
Qu'on trouve le secret de la dévotion.
Un humble repentir produit des biens sans nombre,
Que le dérèglement dissipe comme une ombre.
Chose étrange que l'homme, au sein de son exil,
Voyant à chaque instant son salut en péril,
Sachant combien du ciel douloureuse est la voie,
Ose encor s'endormir pleinement dans la joie !

2. Mais la frivolité, l'oubli de nos défauts,
Nous voilent trop souvent l'abîme de nos maux,
Et des ris dissolus sont pour nous pleins de charmes,
Quand plutôt, à bon droit, devraient couler nos larmes.
Point d'allégresse entière et point de liberté
Sans la crainte et l'amour du Dieu de majesté.
Heureux si constamment nous savions nous soustraire
A tous les vains discours qui peuvent nous distraire,
Et si nous abdiquions dans un saint repentir
Ce qui souille notre âme ou peut l'appesantir !
Luttez avec vigueur : par une autre habitude
L'habitude est vaincue. Enfant de servitude,
Que le monde à jamais par vous soit déserté,
Et le monde, à son tour, vous rend la liberté.

3. N'attirez point à vous les affaires des autres,
Mais ayez constamment l'œil ouvert sur les vôtres.
Ne flattez point les grands, pour gagner leur appui.
Combattez vos défauts, plutôt que ceux d'autrui.
Si vous êtes sevré des faveurs de la terre,
Ne vous en troublez point : que votre peine amère
Soit d'être dépourvu des sentiments pieux
Qui doivent animer un saint religieux.
Souvent il est plus sûr que l'homme en cette vie
N'ait point en héritage un bonheur qu'il envie,
Surtout lorsque la joie amollirait son cœur.
Si parfois néanmoins la céleste douceur
Nous est soudain ravie ou tombe goutte à goutte,
Après mûr examen, nous comprendrons sans doute
Qu'en agissant ainsi, Jésus veut nous punir
De trop aimer encor le monde et le plaisir.

4. Des faveurs du bon Maître estimez-vous indigne :
Il faut bien qu'à l'épreuve un pécheur se résigne.
Pour le vrai pénitent il n'est dans l'univers
Que pénibles fardeaux et souvenirs amers.
Un saint trouve à gémir matière suffisante,
Que sa propre infortune à ses yeux se présente
Ou que les maux d'autrui l'accablent de leur poids :
Il sait qu'à tout mortel Dieu réserve la croix.
D'un regard attentif plus il se considère,
Plus il pénètre à fond l'effroyable misère
Qui nous mettant, hélas ! un bandeau sur les yeux,
Rarement nous permet de contempler les cieux.

5. Réfléchissons plutôt à notre heure dernière
Qu'aux moyens de fournir une longue carrière,
Et pour nous amender nous serons pleins d'ardeur.
Méditons chaque jour, au fond de notre cœur,
Les tourments de l'enfer, les feux du purgatoire,
Toute épreuve dès lors nous sera méritoire ;
Nous nous délecterons dans les austérités.
Par malheur, insensible aux grandes vérités,
Recherchant ce qui flatte et fuyant ce qui blesse,
Notre âme lâchement croupit dans la mollesse.

6. Trop souvent c'est l'horreur de pénibles efforts
Qui nous fit épargner ce misérable corps.
Si notre pénitence était vraiment parfaite,
Volontiers nous dirions avec le Roi-Prophète :
O Dieu, nourrissez-moi du triste pain des pleurs ;
Donnez-moi d'épuiser la coupe des douleurs !
(1)


(1): Ps. 79, ver. 6.


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Si vous voulez faire quelque progrès, conservez-vous dans la crainte de Dieu et ne soyez point trop libre; mais soumettez vos sens à une sévère discipline et ne vous livrez pas aux joies insensées.
    Disposez votre cœur à la componction et vous trouverez la vraie piété.
    La componction produit beaucoup de bien, qu'on perd bientôt en s'abandonnant aux vains mouvements de son cœur.
    Chose étrange, qu'un homme en cette vie puisse se reposer pleinement dans la joie, lorsqu'il considère son exil, et à combien de périls est exposée son âme !
  2. A cause de la légèreté de notre cœur et de l'oubli de nos défauts, nous ne sentons pas les maux de notre âme, et souvent nous rions vainement quand nous devrions bien plutôt pleurer.
    Il n'y a de vraie liberté et de joie solide que dans la crainte de Dieu et la bonne conscience.
    Heureux qui peut éloigner tout ce qui le distrait et l'arrête, pour se recueillir tout entier dans une sainte componction.
    Heureux qui rejette tout ce qui peut souiller sa conscience ou l'appesantir.
    Combattez généreusement: on triomphe d'une habitude par une autre habitude.
    Si vous savez laisser là les hommes, ils vous laisseront bientôt faire ce que vous voudrez.
  3. N'attirez pas à vous les affaires d'autrui et ne vous embarrassez point dans celles des grands.
    Que votre oeil soit ouvert sur vous d'abord; et avant de reprendre vos amis, ayez soin de vous reprendre vous-même.
    Si vous n'avez point la faveur des hommes, ne vous en attristez point; mais que votre peine soit de ne pas vivre aussi bien et avec autant de vigilance que le devrait un serviteur de Dieu et un bon religieux.
    Il est plus souvent utile et plus sûr de n'avoir pas beaucoup de consolations dans cette vie, et surtout de consolations sensibles.
    Cependant, si nous sommes privés de consolations divines, ou si nous ne les éprouvons que rarement, la faute en est à nous, parce que nous ne cherchons point la componction du cœur et que nous ne rejetons pas entièrement les vaines consolations du dehors.
  4. Reconnaissez que vous êtes indignes des consolations célestes et que vous méritez plutôt de grandes tribulations.
    Quand l'homme est pénétré d'une parfaite componction, le monde entier lui est alors amer et insupportable.
    Le juste trouve toujours assez de sujets de s'affliger et de pleurer.
    Car en considérant soit lui-même, soit les autres, il sait que nul ici-bas n'est sans tribulations; et plus il se regarde attentivement, plus profonde est sa douleur.
    Le sujet d'une juste affliction et d'une grande tristesse intérieure, ce sont nos péchés et nos vices, dans lesquels nous sommes tellement ensevelis, que rarement pouvons-nous contempler les choses du ciel.
  5. Si vous pensiez plus souvent à votre mort qu'à la longueur de la vie, nul doute que vous auriez plus d'ardeur pour vous corriger.
    Et si vous réfléchissiez sérieusement aux peines de l'enfer et au purgatoire, je crois que vous supporteriez volontiers le travail et la douleur, et que vous ne redouteriez aucune austérité.
    Mais parce que ces vérités ne pénètrent point jusqu'au cœur, et que nous aimons encore ce qui nous flatte, nous demeurons froids et négligents.
  6. Souvent c'est langueur de l'âme, si notre chair misérable se plaint si aisément.
    Priez donc humblement le Seigneur qu'il vous donne l'esprit de componction, et dites avec le prophète: Nourrissez-moi, Seigneur, du pain des larmes; abreuvez-moi du calice des pleurs (1).

    (1): Ps. 79, ver. 6.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


La douleur est le fond de la vie humaine. Souffrances du corps, maladies de l'âme, inquiétudes, afflictions, péchés, tel est l'accablant fardeau qu'il nous faut porter depuis notre naissance jusqu'à la tombe. Et cependant, à force de travail, l'homme parvient à découvrir au milieu de ses misères je ne sais quelles joies insensées dont il s'enivre avidement.
Fuyons ces folles joies du monde. Arrêtons notre pensée sur le châtiment qui doit suivre, sur nos fautes si multipliées. Et demandons à Dieu, avec la componction du cœur, ce repentir plein d'amour, ces heureuses larmes que Jésus a bénies par ces consolantes paroles: Beaucoup de péchés vous seront remis, parce que vous avez beaucoup aimé (1).

(1): Luc, ch. VII, ver. 47.


 **********