vendredi 26 juillet 2019

Des exercices d'un bon religieux

1. Pour qu'un religieux par sa conduite austère
Soit le flambeau du monde et le sel de la terre,
Dieu veut que son visage et son extérieur
Ne soient que le reflet, le miroir de son cœur.
Il convient que tout homme aux yeux d'un si grand Maître
Soit plus saint qu'au dehors il ne saurait paraître ;
Car Dieu sonde lui-même et nos cœurs et nos reins,
Dieu, digne à tout jamais d'hommages souverains,
Dieu, vers qui doit monter l'encens de nos louanges,
Dieu, qui voudrait nous voir aussi purs que des anges.
Aspirons chaque jour à grandir en ferveur,
Entretenons du moins notre première ardeur.
Disons au Tout-Puissant, pour qu'il nous convertisse :
Seigneur, affermissez mes pas dans la justice ;
Que je sois désormais un généreux chrétien :
Jusqu'à cette heure, hélas ! ce que j'ai fait n'est rien.

2. Voulons-nous avancer ? fuyons la négligence :
Le progrès est le fruit d'une humble diligence.
Si l'homme résolu succombe trop souvent,
Qu'espérer de celui qui flotte au gré du vent ?
On trahit son devoir de diverses manières,
Mais nos omissions, encor bien que légères,
Ont le plus fréquemment de funestes effets.
Aussi, pour plaire à Dieu, tous les hommes parfaits
N'ont-ils jamais compté sur leur propre prudence ;
Mais ce fut sur le Christ et sur la Providence
Que dans tous leurs desseins on les vit s'appuyer.
Ce n'est point aux mortels à choisir leur sentier. (1)
D'ordinaire, il est vrai, c'est « l'homme » qui « propose »,
Mais le proverbe ajoute : et c'est « Dieu » qui « dispose ».

3. Si dans un but pieux, un but de charité,
Nous blessons en un point la régularité,
Semblable omission n'est pas irréparable ;
Mais une négligence est toujours regrettable,
Quand par malheur on cède au dégoût, à l'ennui.
Hélas ! un tel défaut trop souvent nous a nui.
Apportons au combat l'ardeur et la vaillance,
Nous compterons encor plus d'une défaillance.
Il nous faut néanmoins nous proposer pour but
De fuir par-dessus tout ce qui nuit au salut.
Mais, ne l'oublions pas, notre progrès réclame
De sages règlements pour le corps et pour l'âme.

4. Si vous ne pouvez point vous recueillir longtemps,
Rentrez donc en vous-même au moins quelques instants.
Quand brille un nouveau jour, réveillez votre zèle ;
Le soir, examinez si vous fûtes fidèle
A régler vos désirs et vos affections,
Si dans votre langage et dans vos actions,
Vous n'avez offensé ni le Ciel, ni vos frères :
De semblables retours vous seront salutaires.
Sachez vous garantir des pièges de Satan,
Et bravez la fureur de ce cruel tyran.
Résistez sans relâche à votre intempérance,
Vous combattrez la chair avec plus d'assurance ;
Mais veillez plus encore à n'être point oisif :
Pour rester vertueux, c'est un point décisif.
De vos humbles labeurs parcourant la carrière,
A d'utiles travaux unissez la prière.
Discernez prudemment l'exercice du corps
Qui vous rend le plus apte à de nouveaux efforts :
Une œuvre bonne en soi peut être inopportune.

5. Ce qui s'écarterait de la règle commune,
Il est toujours plus sûr de le tenir secret.
Sachez vous prémunir contre un zèle indiscret,
Qui porte l'imprudent à quitter avec joie
Le sentier plus connu, pour suivre une autre voie.
Mais, vos devoirs remplis, quand survient un loisir,
On vous rend à vous-même et vous pouvez choisir ;
Car tous n'ont point d'attrait pour le même exercice :
Vous ne savourez pas ce qui fait mon délice.
En outre, avec les temps, ou tristes ou joyeux,
Nous pouvons varier nos usages pieux :
Tel nous plaît d'ordinaire, un autre aux jours de fête ;
L'un convient pour le calme et non pour la tempête ;
Autres sont nos besoins, quand nous versons des pleurs,
Autres, quand nous goûtons la joie et ses douceurs.

6. Mais sachons, au retour des fêtes solennelles,
Ravir au Tout-Puissant ses faveurs paternelles,
En conjurant les saints d'intercéder pour nous.
Chaque solennité doit être un rendez-vous,
Où, grâce à nos efforts, notre âme enfin soit prête
A quitter son exil pour la céleste fête.
En ces jours précieux, redoublons de ferveur
Et méritons alors l'amitié du Seigneur
Par un plus grand respect pour la moindre observance ;
Car bientôt notre peine aura sa récompense.

7. S'il faut encore attendre, ah ! soyons assurés
Que nous ne sommes point pleinement préparés
A ceindre dans les cieux la couronne de gloire
Qu'au temps fixé par lui Dieu donne (2) à la victoire.
Veillons jusqu'à la fin. Que par un noble effort
Notre âme à chaque instant se dispose à la mort.
Écoutons sur ce point notre divin modèle :
Heureux le serviteur vigilant et fidèle ;
Je vous le dis, son Maître, au céleste séjour,
Sur des biens éternels doit l'établir un jour.
(3)


(1): Jer., ch. X, ver. 23.
(2): Tim. II, ch. IV, ver. 8.
(3): Luc, ch. XII, ver. 37 et 44.



 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. La vie d'un vrai religieux doit briller de toutes les vertus, de sorte qu'il soit tel intérieurement qu'il paraît devant les hommes.
    Et certes il doit être encore bien plus parfait au-dedans qu'il ne le semble au-dehors, parce que Dieu nous regarde, et que nous devons partout où nous sommes le révérer profondément et marcher en sa présence purs comme des anges.
    Nous devons chaque jour renouveler notre résolution, nous exciter à la ferveur, comme si notre conversion commençait aujourd'hui seulement, et dire:
    Aidez-moi, Seigneur, dans mes saintes résolutions et dans votre service; donnez-moi de bien commencer maintenant car ce que j'ai fait jusqu'ici n'est rien.
  2. La fermeté de notre résolution est la mesure de notre progrès, et une grande attention est nécessaire à celui qui veut avancer. Si celui qui forme les résolutions les plus fortes se relâche souvent, que sera-ce de celui qui n'en prend que rarement ou n'en prend que de faibles ?
    Toutefois nous abandonnons nos résolutions de diverses manières et la moindre omission dans nos exercices a presque toujours une suite fâcheuse.
    Les justes, dans leurs résolutions, comptent bien plus sur la grâce de Dieu que sur leur propre sagesse; et quelque chose qu'ils entreprennent, c'est en lui seul qu'ils mettent leur confiance.
    Car l'homme propose et Dieu dispose (1), et la voie de l'homme n'est pas en lui (2).
  3. Si nous omettons quelquefois nos exercices ordinaires par quelque motif pieux ou pour l'utilité de nos frères, il nous sera facile ensuite de réparer cette omission.
    Mais si nous les abandonnons sans sujet, par ennui ou par négligence, c'est une faute grave et qui nous sera funeste.
    Faisons tous nos efforts, et nous tomberons encore aisément en beaucoup de fautes.
    On doit cependant toujours se proposer quelque chose de fixe, surtout à l'égard de ce qui forme le plus grand obstacle à notre avancement.
    Il faut examiner et régler également notre intérieur et notre extérieur, parce que l'un et l'autre servent à nos progrès.
  4. Ne pouvez-vous continuellement vous recueillir, recueillez-vous au moins de temps en temps, au moins une fois le jour, le matin ou le soir.
    Le matin, formez vos résolutions; le soir, examinez votre conduite, ce que vous avez été dans vos paroles, vos actions, vos pensées; car peut-être en cela avez-vous souvent offensé Dieu et le prochain.
    Tel qu'un soldat plein de courage, armez-vous contre les attaques du démon.
    Réprimez l'intempérance, et vous réprimerez plus aisément les autres désirs de la chair.
    Ne soyez jamais tout a fait oisif, mais lisez, ou écrivez, ou priez, ou méditez, ou travaillez à quelque chose d'utile à la communauté.
    Il ne faut cependant s'appliquer qu'avec discrétion aux exercices du corps, et ils ne conviennent pas également à tous.
  5. Ce qui sort des pratiques communes ne doit point paraître au-dehors; il est plus sûr de remplir en secret ses exercices particuliers.
    Prenez garde cependant de négliger les exercices communs pour ceux de votre choix. Mais après avoir accompli fidèlement et pleinement les devoirs prescrits, s'il vous reste du temps, rendez-vous à vous-même selon le mouvement de votre dévotion.
    Tous ne sauraient suivre les mêmes exercices: l'un convient mieux à celui-ci, l'autre à celui-là.
    On aime même à les diversifier selon les temps; il y en a qu'on goûte plus aux jours de fêtes, et d'autres aux jours ordinaires.
    Les uns nous sont nécessaires au temps de la tentation, les autres au temps de la paix et du repos.
    Autres sont les pensées qui nous plaisent dans la tristesse, ou quand nous éprouvons de la joie en Dieu.
  6. Il faut, vers l'époque des grandes fêtes, renouveler nos pieux exercices et implorer avec plus de ferveur les suffrages des saints.
    Proposons-nous de vivre d'une fête à l'autre comme si nous devions alors sortir de ce monde, et entrer dans l'éternelle fête.
    Et pour cela préparons-nous avec soin dans ces saints temps par une vie plus pieuse, par une plus sévère observance des règles, comme devant bientôt recevoir de Dieu le prix de notre travail.
  7. Et si ce moment est différé, croyons que nous ne sommes pas encore bien préparés ni dignes de cette gloire immense qui nous sera découverte en son temps (3), et redoublons d'efforts pour nous mieux disposer à ce passage.
    Heureux le serviteur, dit Saint Luc, que le Seigneur, quand il viendra, trouvera veillant. Je vous dis en vérité qu'il l'établira sur tous ses biens (4).

    (1): Prov., ch. XVI, ver. 9.
    (2):
    Jer., ch. X, ver. 23.
    (3): Rom., ch. VIII, ver. 18.
    (4): Luc, ch. XII, ver. 37 et 44.


Réflexions de l'abbé de Lamennais :


La vie de l'homme sur la terre est un combat perpétuel (1) contre le démon, contre le monde et contre lui-même.
Les uns se retirent dans le cloître pour résister plus aisément, les autres demeurent au milieu du siècle. Mais tous ne peuvent vaincre que par l'exercice d'une continuelle vigilance. L'habitude du recueillement, l'amour de la retraite, une attention constante sur ses paroles, ses pensées, ses sentiments, la fidélité aux plus légers devoirs et aux plus humbles pratiques, préservent de grandes tentations, et attirent les grâces du Ciel.
Celui qui néglige les petites choses tombera peu à peu (2), dit l'Esprit-Saint.

(1): Job, ch. VII, ver. 1.
(2): Ecclésiastique, ch. XIX, ver. 1.


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