vendredi 31 mai 2019

De l'exemple des saints

1. Considérez souvent l'exemple des saints Pères ;
Contemplez la ferveur des premiers solitaires :
A leur pieuse école, apprenez, ô chrétien,
Qu'en toute vérité vos œuvres ne sont rien.
Auprès de leur conduite, hélas ! qu'est notre vie ?
Par amour pour Jésus, leur âme était ravie
De servir Dieu sans cesse au milieu des combats,
Dans la soif et la faim, la chaleur, les frimas,
Le jeûne et le travail, les veilles,
(1) la prière,
Les méditations. Quelle implacable guerre
De la part des méchants ! que d'opprobres, de pleurs !

2. Qu'ils ont souffert, grand Dieu, ces vaillants confesseurs !
L'apôtre, le martyr, la plus faible des vierges,
Ont bravé pour le Christ la torture et les verges.
Ils ont haï leur âme en ce monde mortel,
Pour assurer ses droits au royaume éternel.
(2)
Par leur vertu sublime et leur foi salutaire
D'un parfum tout céleste ils embaumaient la terre.
De la part de Satan quels terribles assauts !...
Comme ils conjuraient Dieu de soulager leurs maux !
Contre leur propre chair quelle haine mortelle !...
Pour leur avancement quel admirable zèle !
Quels combats acharnés contre leurs passions !...
Quels motifs toujours purs dans leurs intentions !
Le jour ils travaillaient, priaient la nuit entière,
Et leur travail lui-même était une prière.

3. Ils faisaient de leur temps le plus utile emploi,
En servant le Seigneur, en méditant sa loi.
L'oraison dans leur vie avait la part si large
Que tous les soins du corps leur étaient une charge.
Honneurs, liens du sang, richesses, amitiés,
Tout bonheur éphémère, ils le foulaient aux pieds.
Aussi dans leur repos et dans leur nourriture,
Sans cesse ils étouffaient la voix de la nature.
Pauvres et dépouillés de tous les biens du temps,
De vertus et de grâce ils étaient opulents ;
Et, bien que tout en eux accusât la détresse,
Leur âme recélait des trésors d'allégresse.

4. Étrangers sur la terre, et citoyens du ciel,
Ils savouraient déjà l'amour de l'Éternel,
Qui daignait les admettre à son commerce intime.
Néant aux yeux du monde et dans leur propre estime,
Ils étaient un objet d'opprobre et de mépris ;
Mais devant Dieu leur âme était du plus haut prix.
Humbles, simples et doux, vivant dans l'innocence,
Sur l'aile de l'amour et de l'obéissance
Chaque jour ils montaient de vertus en vertus,
N'ayant d'autre désir que de plaire à Jésus.
Pour qu'à Dieu sans retour nos âmes soient fidèles,
Tenons les yeux fixés sur nos fervents modèles :
Si la tiédeur, hélas ! porte au dérèglement,
L'exemple des parfaits nous aide puissamment.

5. Oh ! quelle sainte ardeur et quelle vie austère
Ont orné le berceau de chaque monastère !...
Quel amour des vertus, quels généreux élans,
Quel respect pour la règle, en tous ces cœurs brûlants !
Ce qui nous est resté des saints du premier âge,
De ces héros chrétiens atteste le courage,
Au point que leurs combats semblent prodigieux.
Aujourd'hui c'est beaucoup, lorsqu'un religieux
Observe en tout sa règle, accepte sans murmure
Et supporte humblement le reproche et l'injure.

6. O triste négligence ! ô coupable tiédeur !...
Dégénérer si tôt de sa première ardeur !...
Faut-il que le dégoût nous rende insupportable
Un joug que tous les saints ont trouvé délectable !...
Ah ! que leur noble exemple excite nos regrets
Et rallume en nos cœurs le désir du progrès !


(1): Cor. II, ch. XI, ver. 27.
(2): Jean, ch. XII, ver. 25.



 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Contemplez les exemples des saints Pères, en qui reluisait la vraie perfection de la vie religieuse, et vous verrez combien peu est ce que nous faisons, et presque rien.
    Hélas ! qu'est-ce que notre vie comparée à la leur ?
    Les saints et les amis de Jésus-Christ ont servi Dieu dans la faim et dans la soif, dans le froid et dans la nudité, dans le travail et dans la fatigue, dans les veilles et dans les jeûnes, dans les prières et dans les saintes méditations, dans une infinité de persécutions et d'opprobres.
  2. Oh ! que de pesantes tribulations ont souffertes les apôtres, les martyrs, les confesseurs, les vierges et tous ceux qui ont voulu suivre les traces de Jésus-Christ ! Ils ont haï leur âme en ce monde, pour la posséder dans l'éternité.
    Oh ! quelle vie de renoncements et d'austérités, que celle des saints dans le désert ! quelles longues et dures tentations ils ont essuyées ! que de fois ils ont été tour- mentés par l'ennemi ! que de fréquentes et ferventes prières ils ont offertes à Dieu ! quelles rigoureuses abstinences ils ont pratiquées ! quel zèle, quelle ardeur pour leur avancement spirituel ! quelle forte guerre contre leurs passions ! quelle intention pure et droite toujours dirigée vers Dieu !
    Ils travaillaient pendant le jour, et passaient la nuit en prière; et même durant le travail, ils ne cessaient point de prier en esprit.
  3. Tout leur temps avait un emploi utile. Les heures qu'ils donnaient à Dieu leur semblaient courtes, et ils trouvaient tant de douceur dans la contemplation, qu'ils en oubliaient les besoins du corps.
    Ils renonçaient aux richesses, aux dignités, aux honneurs, à leurs amis, à leurs parents; ils ne voulaient rien du monde; ils prenaient à peine ce qui était nécessaire pour la vie; s'occuper du corps, même dans la nécessité, leur était une affliction.
    Ils étaient pauvres des choses de la terre, mais ils étaient riches en grâce et en vertus.
    Au-dehors tout leur manquait, mais Dieu les fortifiait au-dedans par sa grâce et par ses consolations.
  4. Ils étaient étrangers au monde, mais unis à Dieu et à ses amis familiers.
    Ils se regardaient comme un pur néant, et le monde les méprisait; mais ils étaient chéris de Dieu, et précieux devant lui.
    Ils vivaient dans une sincère humilité, dans une obéissance simple, dans la charité, dans la patience, et devenaient ainsi chaque jour plus parfaits et plus agréables à Dieu.
    Ils ont été donnés en exemple à tous ceux qui professent la vraie religion, et ils doivent nous exciter plus à avancer dans la perfection, que la multitude des tièdes ne nous porte au relâchement.
  5. Oh ! quelle ferveur en tous les religieux au commencement de leur sainte institution ! quelle ardeur pour la prière ! quelle émulation de vertu ! quelle sévère discipline ! que de soumission ils montraient tous pour la règle de leur fondateur !
    Ce qui nous reste d'eux atteste encore la sainteté et la perfection de ces hommes qui, en combattant généreusement, foulèrent aux pieds le monde.
    Aujourd'hui on compte pour beaucoup qu'un religieux ne viole point sa règle, et qu'il porte patiemment le joug dont il s'est chargé.
    O tiédeur, ô négligence de notre état qui a si vite éteint parmi nous l'ancienne ferveur ! Maintenant tout fatigue notre lâcheté, jusqu'à nous rendre la vie ennuyeuse.
    Plût à Dieu qu'après avoir vu tant d'exemples d'homme vraiment pieux, vous ne laissiez pas entièrement s'assoupir en vous le désir d'avancer dans la vertu !

    (1): Cor. II, ch. XI, ver. 27.
    (2): Jean, ch. XII, ver. 25
    .


Réflexions de l'abbé de Lamennais :


A la vue des exemples admirables que nous ont laissés tant de disciples fervents de Jésus-Christ, rougissons de notre lâcheté, et animons-nous à marcher courageusement sur leurs traces.
Répétons souvent ces paroles d'un saint: Quoi ! Je ne pourrais pas ce qu'ont pu tels et tels ! (1)
Et ajoutons avec l'Apôtre: De moi-même je ne peux rien, mais je puis tout en Celui qui me fortifie (2).
Toute notre force consiste à sentir notre faiblesse et à en connaître le remède, qui est la grâce du médiateur.

(1): St Ignace de Loyola.
(2): Philip., ch. IV, ver. 13.


 **********