vendredi 10 mai 2019

De la vie religieuse

1. Pour avoir avec tous la concorde et la paix,
Apprenez constamment à vaincre vos attraits.
Quel spectacle, grand Dieu ! lorsqu'en un monastère
On courbe son vouloir sous une règle austère,
Qu'on n'a d'autre drapeau qu'un amour chaste et fort,
Qu'on y reste fidèle, à la vie, à la mort !
O cloître, des vertus inépuisable source,
Heureux qui dans ton sein peut consommer sa course !
Pour ne point défaillir, ô pauvre pèlerin,
Songez donc au séjour du bonheur souverain.
Comment mener sur terre une céleste vie,
Sans aimer le Seigneur jusques à la folie ?

2. Ce qui fait avant tout le bon religieux,
Non, ce ne fut jamais la sainteté des lieux ;
Non, ce n'est point l'habit, ce n'est point la tonsure ;
C'est le cœur détaché, c'est l'âme vraiment pure.
Quiconque, en cet asile, aurait un autre but
Que de plaire au Très-Haut, d'assurer son salut,
Y languirait bien vite au sein de la tristesse.
Si l'on veut y goûter la paix et l'allégresse,
Il faut être pour tous un humble serviteur.

3. Loin les discours oiseux, l'esprit dominateur !
On y vient pour souffrir et travailler à l'aise.
Ici l'homme est semblable à l'or dans la fournaise ; (1)
Et, pour trouver du charme à vivre en un tel lieu,
On doit, du fond du cœur, s'anéantir pour Dieu.


(1): Sag., ch. III, ver. 6.


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Il faut que vous appreniez à vous briser en beaucoup de choses, si vous voulez conserver la paix et la concorde avec les autres.
    Ce n'est pas peu de chose de vivre dans un monastère ou dans une congrégation, de n'y être jamais une occasion de plainte et d'y persévérer fidèlement jusqu'à la mort.
    Heureux celui qui, après une vie sainte, y a heureusement consommé sa course !
    Si vous voulez être affermi et croître dans la vertu, regardez-vous comme exilé et comme étranger sur la terre.
    Il faut, pour l'amour de Jésus-Christ, devenir insensé selon le monde, si vous voulez vivre en religieux.
  2. L'habit et la tonsure servent peu; c'est le changement de mœurs et la mortification entière des passions qui font le vrai religieux.
    Celui qui cherche autre chose que Dieu seul et le salut de son âme ne trouvera que tribulation et douleur.
    Celui-là ne saurait non plus demeurer longtemps en paix qui ne s'efforce point d'être le dernier de tous et soumis à tous.
  3. Vous êtes venus pour servir et non pour dominer; sachez que vous êtes appelés pour souffrir et pour travailler, et non pour discourir dans une vaine oisiveté.
    Ici donc les hommes sont éprouvés, comme l'or dans la fournaise (1).
    Ici nul ne peut vivre s'il ne veut s'humilier de tout son cœur à la cause de Dieu.

    (1): Sag., ch. III, ver. 6.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Qu'est-ce qu'un bon religieux ? C'est un chrétien toujours occupé à tendre à la perfection.
La vie religieuse n'est donc qu'une vie, pour ainsi dire, plus chrétienne, et l'abnégation de soi-même est l'abrégé de tous les devoirs qu'elle impose. Or ces devoirs sont aussi les nôtres, puisque ce n'est pas seulement à quelques-uns, mais à tous, que Jésus-Christ a dit: Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (1).
Pour remplir cette grande vocation, renonçons à nous-mêmes. Unissons-nous pleinement au sacrifice de notre divin chef. Aimons surtout la dépendance, les humiliations, les mépris. Le salut est un édifice qui ne s'élève que sur les ruines de l'orgueil.

(1): Matth, ch. V, ver. 48.


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