vendredi 26 avril 2019

Qu'il faut supporter les défauts d'autrui

1. Supportez humblement tous les sujets d'ennui
Que vous ne sauriez fuir en vous-même, en autrui.
Ces croix sont les faveurs d'un Dieu plein de clémence :
Car l'épreuve toujours eut l'avantage immense
D'affermir le chrétien dans cette humble douceur
Qui fait notre mérite aux yeux du Créateur.
Conjurez néanmoins le Dieu du tabernacle
De vous aider lui-même à vaincre un tel obstacle.

2. Lorsqu'une fois ou deux prudemment averti,
Votre frère au devoir ne s'est point converti,
Tenez-vous dans la paix, sans trouble, sans conteste,
Remettant tout à Dieu. Lui-même nous l'atteste,
Il sait, quand il lui plaît, tourner le mal en bien.
Brisez votre vouloir, pour vous soumettre au sien.
Aimez votre prochain, lors même qu'il vous blesse ;
Pardonnez sa malice, excusez sa faiblesse.
Eh quoi ! seriez-vous donc exempt d'infirmité ?
Que de fois, ô mon frère, on vous a supporté !
Se peut-il qu'impuissant à vous vaincre vous-même,
Vous soyez pour autrui d'une exigence extrême !
Notre mesure est double et nos poids inégaux :
Pour nous plaire, un mortel doit être sans défauts,
Et nous ne faisons rien pour corriger les nôtres.

3. Encor que nous soyons sans pitié pour les autres,
D'un charitable avis nous sommes irrités.
Blâmant dans nos égaux les moindres libertés,
Envieux et chagrins, quand parfois on leur cède,
Nous voulons qu'à nos vœux constamment on accède.
Exigeant qu'envers nous l'on use de douceur,
Contre eux nous invoquons la loi dans sa rigueur.
Déjà nous avons dit ce qu'il nous faut conclure :
Inégaux sont nos poids, double est notre mesure.
Qu'aurions-nous à souffrir, pour l'amour du Très-Haut,
De la part du prochain, s'il était sans défaut ?

4. Telle est la loi du Christ, nous dit le grand Apôtre,
Il faut que deux chrétiens se supportent l'un l'autre ; (1)
Car l'humble et le puissant, les sujets et les rois,
Tout homme est imparfait et doit porter sa croix ;
Nul n'est assez prudent pour savoir se conduire :
On doit donc s'entr'aider, se reprendre et s'instruire,
Être compatissant pour le cœur abattu.
C'est dans l'adversité que brille la vertu.
L'épreuve ne saurait rendre un homme fragile :
Elle met au grand jour l'âme faible ou virile.


(1): Gal., ch. VI, ver. 2.


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Ce que l'homme ne peut corriger en soi ou dans les autres, il doit le supporter avec patience, jusqu'à ce que Dieu en ordonne autrement.
    Songez qu'il est peut-être mieux qu'il en soit ainsi, pour vous éprouver dans la patience, sans laquelle nos mérites sont peu de chose.
    Vous devez cependant prier Dieu de vous aider à vaincre ces obstacles, ou à les supporter avec douceur.
  2. Si quelqu'un, averti une ou deux fois, ne se rend point, ne contestez point avec lui; mais confiez tout à Dieu, qui sait tirer le bien du mal, afin que sa volonté s'accomplisse et qu'il soit glorifié dans tous ses serviteurs.
    Appliquez-vous à supporter patiemment les défauts et les infirmités des autres, quelles qu'ils soient, parce qu'il y a aussi bien des choses en vous que les autres ont à supporter.
    Si vous ne pouvez vous rendre tel que vous voudriez, comment pourrez-vous faire que les autres soient selon votre gré ?
    Nous aimons que les autres soient exempts de défauts, et nous ne corrigeons point les nôtres.
  3. Nous voulons qu'on reprenne les autres sévèrement, et nous ne voulons pas être repris nous-mêmes.
    Nous sommes choqués qu'on leur laisse une trop grande liberté, et nous ne voulons pas qu'on nous refuse rien.
    Nous voulons qu'on les retienne par des règlements, et nous ne souffrons pas qu'on nous contraigne en la moindre chose.
    Par-là on voit clairement combien il est rare que nous usions de la même mesure pour nous et pour les autres.
    Si tous étaient parfaits, qu'aurions-nous de leur part à souffrir pour Dieu ?
  4. Or Dieu l'a ainsi ordonné afin que nous apprenions à porter le fardeau les uns des autres (1), car chacun a son fardeau; personne n'est sans défauts, nul ne se suffit à soi-même; nul n'est assez sage pour se conduire seul; mais il faut nous supporter, nous consoler, nous aider, nous instruire, nous avertir mutuellement.
    C'est dans l'adversité qu'on voit le mieux ce que chacun a de vertus.
    Car les occasions ne rendent pas l'homme fragile, mais elles montrent ce qu'il est.

    (1): Gal., ch. VI, ver. 2.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Vous ne sauriez, dites-vous, supporter tels ou tels défauts, puissant motif de vous humilier ! Car Dieu, qui est la perfection même, les supporte, et de beaucoup plus grands.
Ce qui vous rend si susceptible, ce n'est pas le zèle du prochain, mais un amour-propre difficile, irritable, ombrageux. Tournez vos regards sur vous-même, et voyez si vos frères n'ont rien à souffrir de vous.
La vraie piété est douce et patiente, parce qu'elle éclaire sur ce que l'on est. Celui qui se sent faible et qui en gémit, ne se choque pas aisément des faiblesses des autres. Il sait que nous avons besoin de support, d'indulgence et de miséricorde. Il excuse, il compatit, il pardonne, et conserve ainsi la paix au dedans de soi, et au dehors la charité.


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