vendredi 15 mars 2019

Des œuvres faites sous l'inspiration de la charité

1. Rien au monde, il est vrai, fût-ce l'amour d'un père,
Ne saurait excuser une faute légère ;
Mais on peut toutefois, dans la nécessité,
Différer un devoir de simple charité,
Ou même dans le cas d'utilité majeure,
Changer un acte bon pour une œuvre meilleure :
On donne de la sorte un nouveau prix au bien.
Tout, sans la charité, ne peut servir de rien.
Quand il vient enflammer une âme généreuse,
Tel est du saint amour la vertu merveilleuse
Que la moindre action qu'un tel amour produit,
Se change tout entière en un céleste fruit.
Dès l'instant où nos cœurs n'ont point d'autre mobile,
Aux yeux du Tout-Puissant aucune œuvre n'est vile.

2. Celui-là fait beaucoup dont l'amour est parfait,
Celui-là fait beaucoup qui fait bien ce qu'il fait.
Or toute âme fait bien, dès qu'elle sacrifie
A l'intérêt commun son vouloir et sa vie.
On peut au pur amour paraître obéissant
Et suivre les attraits de la chair et du sang :
Trop rarement, hélas ! notre faible nature
Sait-elle se soustraire à l'influence impure
De la volonté propre ou du respect humain,
De l'amour du bien-être et de l'amour du gain.

3. Quand de la charité les flammes nous consument,
Nous nous comptons pour rien, et nos vœux se résument
A désirer en tout la gloire du Seigneur.
Oubliant pour Jésus notre propre bonheur,
Pourrions-nous être alors esclaves de l'envie ?
Partageant du Très-Haut l'allégresse et la vie,
Nous cherchons dans son bras notre unique soutien :
Lui seul est à nos yeux la source de tout bien,
Le repos des élus, leur couronne immortelle.
Peut-on d'un tel amour sentir une étincelle,
Sans avoir à l'instant compris qu'en vérité
Tous les biens d'ici-bas ne sont que vanité ?


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Pour nulle chose au monde ni pour l'amour d'aucun homme, on ne doit faire le moindre mal; on peut quelquefois cependant, pour rendre un service dans le besoin, différer une bonne œuvre ou lui en substituer une meilleure; car alors le bien n'est pas détruit mais il se change en un plus grand.
    Aucune œuvre extérieure ne sert sans la charité; mais tout ce qui est fait par la charité, quelque petit ou quelque vil qu'il soit, produit des fruits abondants.
    Car Dieu regarde moins à l'action qu'au motif qui fait agir.
  2. Celui-là fait beaucoup qui aime beaucoup.
    Celui-là fait beaucoup, qui fait bien ce qu'il fait, et il fait bien lorsqu'il subordonne sa volonté à l'utilité publique.
    Ce qu'on prend pour la charité souvent n'est que la convoitise; car il est rare que l'inclination, la volonté propre, l'espoir de la récompense ou la vue de quelque avantage particulier n'influe pas sur nos actions.
  3. Celui qui possède la charité véritable et parfaite ne se recherche en rien; mais son unique désir est que la gloire de Dieu s'opère en toutes choses.
    Il ne porte envie à personne, parce qu'il ne souhaite aucune faveur particulière, ne met point sa joie en lui-même, et que, dédaignant tous les autres biens, il ne cherche qu'en Dieu son bonheur.
    Il n'attribue jamais aucun bien à la créature; il les rapporte tous à Dieu, de qui ils découlent comme de leur source, et dans la jouissance duquel tous les saints se reposent à jamais comme dans leur fin dernière.
    Oh ! qui aurait une étincelle de la vraie charité, que toutes les choses de la terre lui paraîtraient vaines !

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Presque toutes les actions des hommes partent d'un principe vicié, de cette triste concupiscence dont parle saint Jean (1), et contre laquelle la vie chrétienne n'est qu'un perpétuel combat.
L'amour déréglé de soi, si difficile à vaincre entièrement, corrompt trop souvent les œuvres même en apparence les plus pures. Que de travaux, que d'aumônes, que de pénitences dans lesquels on se confie peut-être, seront stériles pour le ciel !
Dieu ne se donne qu'à ceux qui l'aiment. Il est le prix de la charité, de cet amour inénarrable, sans bornes et sans mesure, qui, tandis que tout le reste passe, demeure éternellement, dit saint Paul (2).
Amour qui seul faites les Saints, amour qui êtes Dieu même (3), pénétrez, possédez, transformez en vous toutes les puissances de mon âme. Soyez ma vie, mon unique vie, maintenant et à jamais, dans les siècles des siècles.

(1): Jean I, ch. II, ver. 16.
(2): Cor. I, ch. XIII, ver. 8.
(3): Jean I, ch. IV, ver. 16.


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