vendredi 1 mars 2019

Qu'on doit éviter le jugement téméraire

1. Au lieu de contrôler les actions des autres,
Ayez à chaque instant l'œil ouvert sur les vôtres.
A juger sans relâche, on se fatigue en vain,
Très souvent on se trompe, on blesse le prochain.
Mais quand l'homme humblement se condamne lui-même,
D'un juge redoutable il prévient l'anathème.
Que de fois l'amour-propre et le dérèglement
N'ont-ils pas des humains faussé le jugement ?
Que Dieu seul à nos yeux soit un bien désirable,
Notre âme dans la paix demeure inébranlable,
Lorsqu'en nous résistant on froisse notre humeur.

2. Mais parfois au dehors, souvent au fond du cœur,
Une amorce invisible, un déplorable charme,
A l'heure du combat, nous séduit, nous désarme.
Plusieurs, à leur insu, se cherchent en secret :
Ils prônent le devoir et suivent leur attrait.
Tant qu'à leur propre sens on paraît favorable,
Ils nous semblent jouir d'une paix ineffable ;
Mais qu'on les contredise,... à leur calme, soudain,
Nous voyons succéder le trouble et le chagrin.
Fréquemment, par malheur, du feu des controverses
Et du choc trop ardent d'opinions diverses
Naquit le désaccord entre concitoyens,
Parfois même entre amis, entre fervents chrétiens.

3. Qu'il nous en coûte, hélas ! pour vaincre une habitude !
Céder aveuglément nous semble servitude.
Quand nous nous appuyons sur notre propre esprit,
Plus que sur la vertu qu'on puise en Jésus-Christ,
Rarement et bien tard notre faible paupière
Entrevoit un rayon de céleste lumière ;
Car Dieu veut qu'un chrétien s'applique sans détour
A courber sa raison sous le joug de l'amour.


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Tournez les yeux sur vous-même, et gardez-vous de juger les actions des autres.
    En jugeant les autres, l'homme se fatigue vainement; il se trompe le plus souvent, et commet beaucoup de fautes; mais en s'examinant et se jugeant lui-même, il travaille toujours avec fruit.
    D'ordinaire nous jugeons les choses selon l'inclination de notre cœur, car l'amour-propre altère aisément en nous la droiture du jugement.
    Si nous n'avions jamais en vue que Dieu seul, nous serions moins troublés quand on résiste à notre sentiment.
  2. Mais souvent il y a quelque chose hors de nous, ou de caché en nous, qui nous entraîne.
    Plusieurs se recherchent secrètement eux-mêmes dans ce qu'ils font, et ils l'ignorent.
    Ils semblent affermis dans la paix lorsque tout va selon leurs désirs; mais éprouvent-ils des contradictions, aussitôt ils s'émeuvent et tombent dans la tristesse.
    La diversité des opinions produit souvent des discussions entre les citoyens, et même entre les religieux et les personnes dévotes.
  3. On quitte difficilement une vieille habitude, et nul ne se laisse volontiers conduire au-delà de ce qu'il voit.
    Si vous vous appuyez sur votre esprit et sur votre pénétration plus que sur la soumission dont Jésus-Christ nous a donné l'exemple, vous serez très peu et très tard éclairé sur la vie spirituelle: car Dieu veut que nous lui soyons parfaitement soumis, et que nous nous élevions au-dessus de toute raison par un ardent amour.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Il y a en nous une secrète malice qui se complaît à découvrir les imperfections de nos frères, et voilà pourquoi nous sommes si prompts à les juger, oubliant qu'à Dieu seul appartient le jugement des cœurs.
Au lieu de scruter si curieusement la conscience d'autrui, descendons dans la nôtre ! nous y trouverons assez de motifs d'être indulgents envers le prochain et de trembler pour nous-mêmes.
Vous n'êtes chargé que de vous, vous ne répondrez que de vous. Ne jugez donc point, afin que vous ne soyez point jugé (1).

(1): Matth., ch. VII, ver. 1.


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