vendredi 9 novembre 2018

Qu'il faut obéir et se détacher de son propre sens

1. N'est-il pas vraiment beau d'aimer l'obéissance
Et d'immoler en soi l'esprit d'indépendance ?
Est-il chemin plus sûr que la docilité ?
Quand ce n'est plus l'amour, mais la nécessité,
Qui fait courber nos fronts, à l'instant la nature,
En proie à la douleur, se réveille et murmure.
Nul ne peut acquérir la liberté d'esprit,
S'il n'est soumis de cœur, pour plaire à Jésus-Christ.
Qu'on aille où l'on voudra, sans l'humble obéissance
Il n'est point de repos. La flatteuse espérance
De trouver ici-bas un séjour sans douleur
Est trop souvent pour nous un mirage trompeur.

2. Il est vrai qu'en leur sens tous les hommes abondent,
Et qu'à des goûts communs nos amitiés répondent ;
Mais, pour plaire au Seigneur et pour garder la paix,
Que de fois il nous faut mourir à nos attraits !
Tout esprit est borné : défiez-vous du vôtre
Et rangez-vous sans peine au sentiment d'un autre.
Abandonner pour Dieu son propre sentiment,
Au sentier des vertus c'est courir noblement.

3. Car souvent j'entendis citer ce vieil adage :
Conseiller est flatteur ; consulter est plus sage.
Encor que de chacun le jugement soit bon,
Ne point prêter l'oreille au cri de la raison
Et ne vouloir céder en nulle circonstance,
C'est le sceau de l'orgueil et non de la constance.


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. C'est quelque chose de bien grand que de vivre sous un supérieur, dans l'obéissance, et de ne pas dépendre de soi-même.
    Il est beaucoup plus sûr d'obéir que de commander.
    Quelques-uns obéissent plutôt par nécessité que par amour, et ceux-là, toujours souffrants, sont portés au murmure. Jamais ils ne posséderont la liberté d'esprit, à moins qu'ils ne se soumettent de tout leur cœur, à la cause de Dieu.
    Allez où vous voudrez, vous ne trouverez de repos que dans une humble soumission à la conduite d'un supérieur. Plusieurs s'imaginant qu'ils seraient meilleurs en d'autres lieux, ont été trompés par cette idée de changement.
  2. Il est vrai que chacun aime à suivre son propre sens, et a plus d'inclination pour ceux qui pensent comme lui.
    Mais si Dieu est au milieu de nous, il est quelquefois nécessaire de renoncer à notre sentiment pour le bien de la paix.
    Quel est l'homme si éclairé qu'il sache tout parfaitement ?
    Ne vous fiez donc pas trop à votre sentiment, mais écoutez aussi volontiers celui des autres.
    Si votre sentiment est bon, et qu'à cause de Dieu vous l'abandonniez pour en suivre un autre, vous en retirerez plus d'avantage.
  3. J'ai souvent ouï dire qu'il est plus sûr d'écouter et de recevoir un conseil que de le donner.
    Car il peut arriver que le sentiment de chacun soit bon; mais ne vouloir pas céder aux autres, lorsque l'occasion ou la raison le demande, c'est la marque d'un esprit superbe et opiniâtre.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Le Christ s'est rendu obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix (1). Qui oserait après cela refuser d'obéir ? Nul ordre dans le monde, nulle vie que par l'obéissance: elle est le lien des hommes entre eux et avec leur auteur, le fondement de la paix et le principe de l'harmonie universelle.
La famille, la cité, l’Église ou la grande société des intelligences ne subsistent que par elle et la perfection la plus haute n'est, pour les créatures, qu'une plus parfaite obéissance; elle seule nous garantit de l'erreur et du péché. Qu'est-ce-que l'erreur ? La pensée d'un esprit faillible, qui ne reconnaît point de maître et n'obéit qu'à soi. Qu'est-ce-que le péché? L'acte d'une volonté corrompue, qui ne reconnaît point de maître et n'obéit qu'à soi.
Mais à qui devons-nous obéir ? A un homme comme nous ? Non, non; l'homme n'a sur l'homme aucun légitime empire; son pouvoir n'est que la force, et quand il commande en son propre nom, il usurpe insolemment un droit qui ne lui appartient en aucune manière. Dieu est l'unique monarque, et toute autorité légitime est un écoulement, une participation de sa puissance éternelle, infinie.
Ainsi, comme l'enseigne l'Apôtre, tout pouvoir vient de Dieu (2), et il est soumis à une règle divine, aussi bien dans l'ordre temporel que dans l'ordre religieux; de sorte qu'en obéissant au pontife, au prince, au père, à quiconque est réellement le ministre de Dieu pour le bien (3), c'est à Dieu seul qu'on obéit.
Heureux celui qui comprend cette céleste doctrine. Délivré de la servitude de l'erreur et des passions, de la servitude de l'homme, il jouit de la vraie liberté des enfants de Dieu (4).

(1): Philip., ch. II, ver. 8.
(2): Rom., ch. XIII, ver. 1.
(3): Rom., ch. XIII, ver. 4.
(4): Rom., ch. VIII, ver. 21.


 **********