vendredi 23 novembre 2018

Des moyens d'acquérir la paix et du zèle pour notre avancement spirituel

1. O l'ineffable paix dont nous pourrions jouir,
Si, moins prompts à conter, moins empressés d'ouïr,
Ce que disent les uns ou ce que font les autres,
Nous voilions leurs défauts et corrigions les nôtres !
Mais la paix pourrait-elle habiter en celui
Qui, toujours occupé des affaires d'autrui,
Aspirant sans relâche à sortir de lui-même,
Trouve à se recueillir un embarras extrême ?
Bienheureux le cœur simple : il nage dans la paix.

2. Pourquoi vit-on des saints si fervents, si parfaits ?
C'est que, mourant sans cesse aux désirs de la terre,
Attachés à Dieu seul, à lui seul voulant plaire,
Ils vaquaient sans entrave aux choses du salut.
Mais, pour nous, trop souvent, n'ayant point d'autre but
Qu'un bonheur fugitif ou qu'un bien transitoire,
Sur quel vice avons-nous remporté la victoire ?
Constamment dépourvus de zèle et de ferveur,
Nous languissons, hélas ! au sein de la tiédeur.

3. Quand l'homme est vraiment libre et maître de son âme,
Dieu se révèle à lui, Dieu l'éclaire et l'enflamme,
En lui montrant déjà comme un reflet des cieux.
Pour surmonter l'obstacle à ces dons précieux,
Il faudrait nous ravir à toute ignoble joie
Et suivre des parfaits l'incomparable voie ;
Mais le moindre labeur nous trouble et nous abat !

4. Si nous étions vaillants à l'heure du combat,
Un Dieu nous armerait de sa propre puissance.
Tant que son bras suprême est leur seule espérance,
Au plus fort de la lutte il soutient ses enfants,
Qu'il a créés soldats pour les voir triomphants.
Si dans l'amour divin notre persévérance
Dépendait, par malheur, d'une simple observance,
C'en serait fait bientôt de notre piété.
Donc saisissons la hache avec virilité :
Frappons, tranchons sans crainte. Extirpons la racine
Des appétits charnels dont l'appât nous fascine,
Et la paix à l'instant remplira notre cœur.

5. De tout penchant mauvais on fut bientôt vainqueur,
Quand du moins chaque année on triompha d'un vice.
Consacrés au Très-Haut, à son royal service,
Depuis longtemps comblés de ses dons merveilleux,
Faut-il que nous soyons moins purs et moins pieux !
En nous l'amour divin sans cesse devrait croître ;
Mais on compte aujourd'hui pour beaucoup, même au cloître,
De ne point trop déchoir de sa première ardeur.
Quand on s'arme, au début, d'une sainte rigueur,
On prend le vrai sentier de la béatitude.

6. Sans nul doute, il est dur de rompre une habitude,
Plus dur d'anéantir sa propre volonté ;
Mais, quand on cède en lâche à la difficulté,
Qu'on ne peut s'affranchir d'une légère entrave,
Saura-t-on triompher d'un obstacle plus grave ?
Rompons, dès l'origine, avec nos goûts pervers,
Pour ne point nous forger d'épouvantables fers.
Oh ! comme on plaît au juste et quel bonheur on goûte,
En suivant de la croix la sainte et noble route !
Et, lorsqu'on prend à cœur de vaincre ses attraits,
Comme on fait chaque jour d'admirables progrès !


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Nous pourrions jouir d'une grande paix, si nous voulions ne nous point occuper de ce que disent et de ce que font les autres et de ce dont nous ne sommes point chargés.
    Comment peut-il être longtemps en paix, celui qui s'embarrasse de soins étrangers, qui cherche à se répandre au-dehors, et ne se recueille que peu ou rarement en lui-même ?
    Heureux les simples, parce qu'ils posséderont une grande paix !
  2. Comment quelques saints se sont-ils élevés à un si haut degré de vertu et de contemplation ?
    C'est qu'ils se sont efforcés de mourir à tous les désirs de la terre, et qu'ils ont pu ainsi s'unir à Dieu par le fond le plus intime de leur cœur, et s'occuper librement d'eux-mêmes.
    Pour nous, nous sommes trop à nos passions, et trop inquiets de ce qui se passe.
    Rarement nous surmontons parfaitement un seul vice, nous n'avons point d'ardeur pour faire chaque jour quelques progrès, et ainsi nous restons tièdes et froids.
  3. Si nous étions tout a fait morts à nous-mêmes et moins préoccupés au-dedans de nous, alors nous pourrions aussi goûter les choses de Dieu et acquérir quelque expérience de la céleste contemplation.
    Le plus grand, l'unique obstacle, c'est qu'asservis à nos passions et à nos convoitises, nous ne faisons aucun effort pour entrer dans la vois parfaite des saints.
    Et, s'il arrive que nous éprouvions quelque légère adversité, nous nous laissons aussitôt abattre, et nous recourons aux consolations humaines.
  4. Si tels que des soldats généreux, nous demeurions fermes dans le combat, nous verrions certainement le secours de Dieu descendre sur nous du ciel.
    Car il est toujours prêt à aider ceux qui résistent et qui espèrent en sa grâce, et c'est lui qui nous donne des occasions de combattre, afin de nous rendre victorieux.
    Si nous plaçons uniquement le progrès de la vie chrétienne dans les observances extérieures, notre dévotion sera de peu de durée.
    Mettons donc la cognée à la racine de l'arbre, afin que dégagés des passions, nous possédions notre âme en paix.
  5. Si nous déracinions chaque année un seul vice, bientôt nous serions parfaits.
    Mais nous sentons souvent, au contraire, que nous étions meilleurs et que notre vie était plus pure, lorsque nous quittâmes le siècle, qu'après plusieurs années de profession.
    Nous devrions croître chaque jour en ferveur et en vertu, et maintenant on compte pour beaucoup d'avoir conservé une partie de sa ferveur.
    Si nous nous faisions d'abord un peu de violence, nous pourrions tout faire ensuite aisément et avec joie.
  6. Il est dur de renoncer à ses habitudes, mais il est plus dur encore de courber sa propre volonté.
    Cependant, si vous ne savez pas vous vaincre en des choses légères, comment remporterez-vous des victoires plus difficiles ?
    Résistez dès le commencement à votre inclination, rompez sans aucun retard toute habitude mauvaise, de peur que peu à peu elle ne vous engage dans de plus grandes difficultés.
    Oh ! si vous considériez quelle paix ce serait pour vous, quelle joie pour les autres, en vivant comme vous le devez, vous auriez, je crois, plus d'ardeur pour votre avancement spirituel.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, non comme le monde la donne (1).
Quelle aimable douceur ! quel touchant amour dans ces paroles de Jésus-Christ et en même temps quelle instruction profonde ! Tous les hommes souhaitent la paix; mais il y a deux paix: la paix de Jésus-Christ, et la paix du monde.
Le monde dit à l'ambitieux : "Le désir des grandeurs te trouble et t'agite, monte, élève-toi." Il dit à l'avare: "L'envie des richesses te dévore, amasse, amasse sans t'arrêter jamais." Il dit au mondain tourmenté de ses convoitises: "Enivre-toi de tous les plaisirs". Il dit enfin à chaque passion: "Jouis, et tu auras la paix." Promesse menteuse! les soucis, la tristesse, l'inquiétude, le dégoût, les remords, voilà la paix du monde !
Jésus dit: "Triomphez de vous-même, combattez vos désirs, domptez vos convoitises, brisez vos passions." Et l'âme docile à ses commandements repose dans un calme ineffable. Les peines de la vie, les souffrances, les injustices, les persécutions, rien n'altère sa paix. Et cette céleste paix, qui surpasse tout sentiment (2), l'accompagne au dernier passage, et la suit jusqu'au ciel, où se consommera sa félicité.

(1): Jean, ch. XIV, ver. 27.
(2): Philip., ch. IV, ver. 7.


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