vendredi 26 octobre 2018

Qu'il faut fuir l'orgueil et les vaines espérances

1. Vanité, qui pour Dieu se transforme en injure,
De s'appuyer sur l'homme et sur la créature.
Pratiquez de grand cœur les plus humbles vertus,
Soyez fier de servir par amour pour Jésus,
Vous reposant sur lui, bien plus que sur vous-même.
Montrez-vous généreux ; car le Seigneur vous aime :
Il vient toujours en aide à notre bon vouloir.
Mais comptez pour néant votre propre savoir,
La faveur des mortels ou la prudence humaine,
Et qu'à Dieu votre foi constamment vous ramène,
Car son bras soutient l'humble et frappe l'orgueilleux.

2. La richesse, mon frère, est un don périlleux :
Etes-vous fortuné ? ne chantez point victoire.
Vos amis sont puissants ? rapportez-en la gloire
A votre divin Maître, auteur de tous les biens,
Qui, pour comble d'amour, veut se donner aux siens !
La force et la beauté, dont la nature est fière,
Doivent être à vos yeux cette fleur printanière
Que bientôt va flétrir un rayon trop ardent.
Fussiez-vous un génie, un homme transcendant,
Fuyez par-dessus tout la vaine complaisance,
Pour ne point blesser Dieu par votre suffisance.

3. Si vous vous estimez au-dessus du prochain,
Craignez que le Seigneur, qui voit le cœur humain,
Ne vous accable un jour du poids de sa colère.
Portez donc sur vous-même un jugement sévère,
Ou tremblez d'encourir l'éternel châtiment :
Ce qu'estime un mondain, Dieu le juge autrement.
Sommes-nous vertueux ? pour demeurer modestes,
Ne nous croyons point seuls comblés des dons célestes.
Se mettre au dernier rang fut toujours sans danger.
Le contraire est un vice ; on doit s'en corriger :
Car si l'humble est heureux, dès cette triste vie,
Le superbe est rongé de colère et d'envie.


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Insensé celui qui met son espérance dans les hommes ou dans quelque créature que ce soit.
    N'ayez point de honte de servir les autres, et de paraître pauvre en ce monde pour l'amour de Jésus-Christ.
    Ne vous appuyez point sur vous-même, et ne vous reposez que sur Dieu seul.
    Faites ce qui est en vous, et Dieu secondera votre bonne volonté.
    Ne vous confiez point en votre science, ni dans l'habileté d'aucune créature, mais plutôt dans la grâce de Dieu qui aide les humbles et qui humilie les présomptueux.
  2. Ne vous glorifiez point dans les richesses que vous pouvez avoir, ni dans la puissance de vos amis, mais en Dieu, qui donne tout, et qui, par-dessus tout, désire encore se donner lui-même.
    Ne vous élevez point à cause de la force ou de la beauté de votre corps, qu'une légère infirmité abat et flétrit.
    N'ayez point de complaisance en vous-même à cause de votre esprit ou de votre habileté, de peur de déplaire à Dieu, de qui vient tout ce que vous avez reçu de bon de la nature.
  3. Ne vous estimez pas meilleur que les autres; peut-être êtes-vous pire aux yeux de Dieu, qui sait ce qu'il y a dans l'homme.
    Ne vous enorgueillissez pas de vos bonnes œuvres, car les jugements de Dieu sont autres que ceux des hommes, et ce qui plaît aux hommes, souvent lui déplaît.
    S'il y a quelque bien en vous, croyez qu'il y en a plus dans les autres, afin de conserver l'humilité.
    Vous ne hasardez rien à vous mettre au-dessous de tous, mais il vous serait très nuisible de vous préférer à un seul.
    L'homme humble jouit d'une paix inaltérable, la colère et l'envie troublent le cœur du superbe.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


En considérant la faiblesse de l'homme, la fragilité de sa vie, les souffrances dont il est assailli de toutes parts, les ténèbres de sa raison, les incertitudes de sa volonté inclinée au mal dès l'enfance (1), on s'étonne qu'un seul mouvement d'orgueil puisse s'élever dans une créature si misérable, et cependant l'orgueil est le fond même de notre nature dégradée.
Selon la pensée d'un Père (2), "il nous sépare de la sagesse, il fait que nous voulons être nous-mêmes notre bien, comme Dieu lui-même est son bien" tant il y a de folie dans le crime! C'est alors que l'homme se recherche et s'admire dans tout ce qui le distingue des autres et l'agrandit à ses propres yeux, dans les avantages du corps, de l'esprit, de la naissance, de la fortune, de la grâce même, abusant ainsi à la fois des dons du Créateur et du Rédempteur.
Oh ! que ce désordre est effrayant, et combien nous devons trembler lorsque nous découvrons en nous un sentiment de vaine complaisance, ou qu'il nous arrive de nous préférer à l'un de nos frères. Rappelons-nous souvent le pharisien de l’Évangile, sa fausse piété si contente d'elle-même et si coupable devant Dieu, son mépris pour le publicain qui s'en alla justifié à cause de l'humble aveu de sa misère, et disons au fond du cœur avec celui-ci: Mon Dieu! ayez pitié de moi pauvre pécheur (3).

(1): Gen., ch. VIII, ver. 21.
(2): St Augustin.
(3): Luc, ch. XVIII, ver. 13.


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