vendredi 19 octobre 2018

Des affections désordonnées

1. Aux désirs déréglés dès qu'une âme est en proie,
Le trouble sur-le-champ y succède à la joie.
Il agite sans fin l'avare et l'orgueilleux,
Quand le pauvre jouit d'un calme merveilleux
Et que l'humble de cœur goûte une paix profonde. (1)
Qui n'est point vraiment mort aux choses de ce monde,
A chaque instant défaille au milieu du combat,
Et souvent c'est un rien qui l'arrête et l'abat.
Constamment incliné vers le plaisir sensible,
A la concupiscence il demeure accessible,
Et, quand il s'y dérobe, il se livre au chagrin ;
Pour peu qu'on lui résiste, il s'échauffe soudain.

2. Mais a-t-il satisfait sa passion coupable,
Le remords aussitôt le poursuit et l'accable ;
Car en obéissant à ses honteux attraits,
Il ne saurait trouver la véritable paix.
Serait-ce en leur cédant qu'il parviendrait au calme ?
N'est-ce point au vainqueur qu'on décerne la palme ?
Lorsqu'au plaisir charnel on se livre sans frein,
Le trouble au fond du cœur domine en souverain.
Du juste, dès l'exil, précieux héritage,
La paix doit être un jour son éternel partage.


(1): Ps. 36, ver. 11.


 




Traduction littérale de l'abbé de Lamennais :

  1. Dès que l'homme commence à désirer quelque chose désordonnément, aussitôt il devient inquiet en lui-même.
    Le superbe et l'avare n'ont jamais de repos, mais le pauvre et l'humble d'esprit vivent dans l'abondance de la paix. (1)
    L'homme qui n'est pas encore parfaitement mort à lui-même est bien vite tenté, et il succombe dans les plus petites choses.
    Celui dont l'esprit est encore infirme, appesanti par la chair et incliné vers les choses sensibles, a grand-peine à se détacher entièrement des désirs terrestres.
    C'est pourquoi, lorsqu'il se refuse à les satisfaire, souvent il éprouve de la tristesse, et il est disposé à l'impatience quand on lui résiste.
  2. Que, s'il a obtenu ce qu'il convoitait, aussitôt le remords de la conscience pèse sur lui, parce qu'il a suivi sa passion, qui ne sert de rien pour la paix qu'il cherchait.
    C'est en résistant aux passions, et non en leur cédant, qu'on trouve la véritable paix du cœur.
    Point de paix donc dans le cœur de l'homme charnel, de l'homme livré aux choses extérieures: la paix est le partage de l'homme fervent et spirituel.

    (1): Ps. 36, ver. 11.

Réflexions de l'abbé de Lamennais :


Un joug pesant accable les enfants d'Adam (1), fatigués sans relâche par les convoitises de la nature corrompue.
Succombent-ils, la tristesse, le trouble, l'amertume, le remords, s'emparent aussitôt de leur âme. "Superbe encore au fond de l'ignominie, inquiet et las de moi-même," dit saint Augustin en racontant les désordres de sa jeunesse, "je m'en allais loin de vous, ô mon Dieu, à travers des voies toutes semées de stériles douleurs (2)."
Il en coûte plus à l'homme de céder à ses penchants que de les vaincre; et si le combat contre les passions est dur, une paix ineffable en est le fruit.
Appelons le Seigneur à notre aide dans ce saint combat; n'en craignons point le travail, il sera court : aujourd'hui, demain, et puis le repos éternel !

(1): Ecclésiastique, ch. XL, ver. 1.
(2): Conf., livre II, ch. II.


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